De nombreuses entreprises et associations disposent régulièrement, et potentiellement structurellement, de liquidités dont elles n’ont pas immédiatement besoin. Cet argent constitue leurs trésoreries, qu’il s’agit de gérer de façon optimale. Voici notre guide pratique pour les trésoriers et directeurs financiers, chargés de cette mission.
Pendant de longues années, l’enjeu pour les trésoriers était de minimiser le coût financier des liquidités excédentaires dont ils disposaient. En effet, dans un contexte de taux directeurs négatifs, les banques n’hésitaient pas à facturer les clients qui déposaient de grosses sommes d’argent sur leurs comptes bancaires. Car les banques commerciales étaient elles-mêmes facturées par la Banque Centrale Européenne sur leurs dépôts excédentaires.
La clientèle des personnes morales (entreprises, associations) était notamment visée, la facturation des dépôts de la clientèle individuelle étant politiquement bien moins acceptable. L’objectif pour un trésorier d’entreprise était alors très simple : éviter ou minimiser les frais bancaires, ce qui revient à viser un rendement nul (mais non négatif) sur le cash de la société.
Depuis que la BCE (et d’autres banques centrales) ont entamé leurs cycles de hausse des taux d’intérêts, entamée en juillet 2022 pour la zone euro, le contexte a radicalement changé.
Les taux d’intérêts sont à nouveau largement positifs, et il devient donc à nouveau possible de faire travailler la trésorerie excédentaire de son entreprise. Les banques commerciales rémunèrent à nouveau certains dépôts, qu’ils soient libellés en euros, dollars ou en livres sterling d’ailleurs. Les fonds monétaires sont également devenus bien plus rémunérateurs et un grand nombre d’autres types de placements, à destination des entreprises, proposent des rendements qui peuvent paraître alléchants.
La placement de la trésorerie d’entreprise est donc devenu un sujet tactique, voire stratégique, qui peut véritablement impacter la performance financière de la société. La gestion de la trésorerie peut contribuer à la bottom line !
Encore faut-il savoir faire la part des choses, et pouvoir choisir les placements ou supports d’investissement optimaux, correspondant aux besoins et objectifs de votre entreprise.
Pour nous, c’est le point de départ, qui peut paraître évident : la trésorerie de l’entreprise résulte de l’activité principale de la société. Par conséquent, la gestion de la trésorerie doit être fonction des besoins en cash de l’entreprise pour financer son activité commerciale.
Et non l’inverse.
Cela implique que la stratégie d’investissement et de placement de la trésorerie doivent être dictées par les besoins de l’activité. Pour faire simple, l’entreprise ne doit pas réduire ses investissements ou freiner le développement de son activité commerciale, parce que la trésorerie a été placée de telle sorte qu’elle ne peut plus être déployée (du moins tant que le rendement attendu de ces investissements reste supérieur à la rémunération de la trésorerie) .
De ce principe fondamental découlent plusieurs recommandations, dont le premier concerne le couple risque / rendement. En règle générale, en finance, plus vous êtes prêts à prendre de risques, plus vous devriez viser un rendement élevé. Inversement, plus un placement est prudent et défensif, et plus vos attentes en termes de performance devraient être modestes.
Or la mission d’une entreprise ou d’une association n’est pas de maximiser le rendement sur sa trésorerie excédentaire, ce qui exigerait de prendre un maximum de risques. C’est au contraire de préserver ses liquidités, afin de pouvoir les déployer pour financer les activités courantes ou encore le développement stratégique de l’entité.
Par construction, le couple risque / rendement pour la trésorerie d’une personne morale se retrouvera typiquement du côté prudent sur l’échelle de risque.
Toujours dans le prolongement du principe fondamental, la gestion de trésorerie doit tenir compte des besoins de financement dans le temps. Exprimé simplement, si votre société dispose de liquidités importantes aujourd’hui, mais que vous savez qu’elles seront utilisées pour faire face à de grosses dépenses dans 6 mois, le placement de ces liquidités ne doit pas dépasser cette échéance.
Cela s’appelle la liquidité, et le risque de ne pas pouvoir accéder à la trésorerie au moment où l’entreprise en a besoin s’appelle le risque de liquidité. Pour une gestion saine de votre trésorerie, nous recommandons de limiter, et idéalement d’éliminer, le risque de liquidité.
Nous suggérons deux méthodes simples pour y parvenir :
Ainsi, vous éviterez d’être à court d’argent au moment où vous en aurez besoin. Quand vos placements arriveront à maturité, sans besoin de liquidités immédiat correspondant, vous pourrez toujours investir la trésorerie redevenue disponible à nouveau.
Notre dernière recommandation est également dérivée de notre point de départ qui est que le gestion de la trésorerie est une activité secondaire de l’entreprise. Le trésorier et le directeur administratif et financier ont d’importantes responsabilités qui vont bien au-delà de la gestion optimale de la liquidité. Il ne faut pas que cette tâche devienne une usine à gaz qui consommerait une partie importante du temps de ces cadres.
Au contraire, il nous semble important que dans la définition de la stratégie de gestion de trésorerie optimale, l’entreprise tienne compte du temps qu’il s’agit d’y consacrer. Et donc qu’elle cherche délibérément à privilégier les outils (digitaux), les solutions de placement et les supports d’investissement les plus efficaces et les moins chronophages. Dans la même veine, il s’agit de se poser la question du nombre de contreparties avec qui vous souhaitez traiter. Est-il bien utile d’avoir une dizaine de comptes bancaires ouverts auprès d’autant d’institutions quand on dispose de quelques millions d’euros de trésorerie ?
Les principes fondamentaux de la gestion de trésorerie se résument donc ainsi :
En toute logique, il est préférable de se focaliser sur des supports d’investissements simples et peu chers, qui offrent la plus grande flexibilité à ses propriétaires. Simples, pour gagner du temps et peu coûteuses dans le but de maximiser le rendement net, après frais éventuels, pour l’entreprise.
Avec ces objectifs en tête, passons en revue les supports les plus fréquemment utilisés.
C'est l'équivalent du livret d'épargne pour un particulier, c'est-à-dire un compte bancaire rémunéré, typiquement ouvert dans la même banque où le client dispose de son compte courant. Le compte excédent professionnel a donc l'avantage d'être facile à ouvrir, et d'offrir une très grande souplesse d'usage. En effet, dès qu'une entreprise dispose de quelques liquidités dont elle n'a pas un besoin immédiat, il suffit de les virer sur ce compte rémunéré, afin de le faire travailler. L'argent reste accessible en permanence, et peut donc être retiré à tout moment.
La sécurité de cette alternative est également à souligner.
En contrepartie de cette grande simplicité, l'absence de risque et une liquidité permanente, la rémunération versée sur les comptes excédent professionnels est typiquement très faible.
C’est de loin la solution d’investissement la plus simple. Il s’agit d’un compte bancaire rémunéré, qui, comme son nom l’indique, possède une échéance définie, au terme duquel le montant déposé est automatiquement remboursé, avec les intérêts générés.
Sur un Compte à Terme (CAT) il n’y a donc que deux flux financiers possibles : à l’ouverture, le dépôt initial effectué par l’entreprise cliente et le remboursement de l’argent déposé, augmenté des intérêts, à sa clôture.
Les banques qui proposent les Comptes à Terme offrent typiquement une gamme d’échéances possibles, allant de 3 mois pour les maturités les plus courtes, à 5 ans pour les échéances de placement les plus longues. Cela permet donc aux entreprises de sélectionner une ou plusieurs maturités en fonction de l’échéancier de leurs besoins en financement, comme évoqué ci-dessus. Sachant qu’a priori plus la maturité du Compte à Terme est longue, plus le rendement proposé par la banque sera élevé.
Les principaux avantages d’un Compte à Terme sont les suivants :
En contrepartie, de la (quasi-)absence de risque et de la grande flexibilité offertes par les Comptes à Terme, leur rendement est relativement modeste. Mais grâce à la hausse des taux, il peut se rapprocher et même dépasser les 3,5% chez certaines banques.
Il s’agit donc de bien étudier le marché, et de comparer les propositions des différentes banques, les écarts de taux d’intérêts pouvant être significatifs.
Outre les Comptes à Terme, il existe d’autres placements qui répondent aux critères de prudence, d’accessibilité et de simplicité qui doivent s’appliquer dans toute recherche d’alternatives de placement pour la trésorerie d’entreprise. Comme par exemple les fonds monétaires.
Il s’agit d’OPCVM (pour Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières) investis de façon très prudente, typiquement dans des obligations d’État de courte durée. Leur objectif est de minimiser le risque de pertes en capital, de maximiser la liquidité tout en offrant un faible rendement.
Cela en fait une alternative pertinente pour faire travailler (une partie de) la trésorerie d’entreprise.
L’inconvénient des fonds monétaires est qu’ils requièrent l’ouverture d’un support d’investissement approprié dans lequel il est possible de loger des titres cotés et échangeables, en occurrence des parts d’OPCVM. Ce support peut être un contrat de capitalisation, ou encore un compte titres. Le premier est un contrat d’assurance vie conçu pour les personnes morales, le second est un compte spécifique, ouvert auprès d’une banque, qui permet de loger, entre autres, des parts de fonds monétaires.
Dans les deux cas, le fournisseur du support de placement, typiquement une société d’assurance ou une banque, vont facturer des frais de gestion annuels pour la mise à disposition du support de placement. Il sera donc important de bien calculer le rendement net des fonds monétaires, une fois le coût de l’enveloppe déduite.
La remontée des taux a également stimulé le très fort développement du segment des produits structurés, c’est-à-dire des produits financiers qui combinent plusieurs types de classes d’actifs (actions, obligations, options, …) afin de délivrer une combinaison rendement / risque bien précise.
Il en existe de toutes sortes, mais nous nous focaliserons ici sur les produits structurés à capital garanti, c’est-à-dire pour lesquels l’investisseur est sûr d’au moins récupérer son capital investi initialement, à la fin de vie de produit structuré (et à condition que la banque émettrice du produit structuré n’ait pas fait défaut). Et qui délivrent un rendement attractif, si certaines conditions prédéfinies sont respectées. Un exemple de produit structuré serait un placement à capital garanti, d’échéance 5 ans, qui verse un coupon de 6% par an si l’indice CAC40 s’échange à un niveau supérieur où égal au niveau constaté au moment du lancement de la note structurée aux 5 anniversaires successifs de celui-ci.
Il nous semble que ce type de placement remplit en grande partie les critères pertinents pour un trésorier d’entreprise : l’argent placé n’est pas à risque, le rendement visé est connu d’avance, tout comme l’échéance maximale du placement. Enfin, il est possible de revendre le produit structuré avant son échéance, sachant que dans ce scénario, le capital placé n’est pas garanti, et que la somme d’argent récupéré dépendra des conditions de marché. Dit autrement, un investissement dans un produit structuré à capital garanti offre une certaine liquidité (la possibilité de revendre avant l’échéance), mais qui va de pair avec une possible perte en capital.
Comme pour les placements en fonds monétaires, un investissement en produits structurés nécessite un support d’investissement qui peut recevoir des titres financiers, comme par exemple un compte titres. Dont il s’agira de prendre en compte les frais annuels de tenue compte.
Après avoir passé en revue les placements de trésorerie les plus classiques, attardons-nous sur quelques alternatives plus originales et typiquement plus risquées.
L’investissement immobilier est très populaire en France et possède l’image d’un placement sûr. Pourquoi ne pas investir une partie de la trésorerie d’entreprise dans cette classe d’actif ? C’est bien sûr possible, et cela d’autant plus facilement si on considère les différents types de fonds immobiliers, conçus pour faciliter l’investissement dans des portefeuilles de biens immobiliers, comme les SCPI, les OPCI ou encore les SCI. Acheter des titres de ces fonds s’appelle aussi investir en pierre-papier.
Et sur papier, cela peut paraître cohérent. Car les parts de SCPI, et autres OPCI :
Malheureusement, cette théorie n’est pas validée dans la pratique. Dans un contexte de hausse des taux, la valeur des biens immobiliers peut connaître de forts ajustements à la baisse, ce qui peut conduire à de significatives pertes en capital pour l’investisseur.
Par ailleurs, les commissions initiales pour un grand nombre de fonds immobiliers sont très élevées (plusieurs pour cents), ce qui veut dire qu’il faut que votre capital génère un rendement significatif pour rembourser les commissions d’entrée, et revenir à l’équilibre. Autrement dit, ces SCPI et OPCI ne se prêtent pas aux placements à court terme.
Le risque de perte en capital s’applique aussi aux autres alternatives de placement comme le crowdfunding, les actions et les crypto-devises.
Le crowdfunding est de ces trois types d’actifs celui qui est probablement le moins risqué, car les investissements proposés sur les plateformes spécialisées sont généralement des projets d’infrastructures comme par exemple des projets d’énergies renouvelables (parc éoliens, parc de panneaux solaires etc.). Mais attention, ces investissements sont aussi souvent illiquides, c’est-à-dire qu’il est peut être impossible de revendre votre investissement avant son échéance.
À l’inverse, les investissements en actions cotées en bourse ou dans les crypto-devises majeures comme le bitcoin peuvent être considérés comme plutôt liquides (sauf dans des conditions de crise ou de krach boursier). Malheureusement, leurs valeurs fluctuent quotidiennement, et parfois de façon brutale, à la hausse comme à la baisse.
En bref, ces alternatives de placement peuvent générer des rendements plus importants. Mais c’est normal, car elles sont beaucoup plus risquées et peuvent conduire à des rendements négatifs.
Pour conclure, il ne nous semble pas que les investissements en pierre-papier, en actions, ou en crypto-devises soient particulièrement bien adaptés au déploiement de la trésorerie d’une entreprise, surtout si elle a des besoins de liquidité à court ou moyen terme.
Pour conclure, il nous semble que la saine gestion de la trésorerie d’entreprise exige qu’une partie des liquidités reste parfaitement disponible, typiquement sur un compte bancaire non rémunéré, pour faire face aux dépenses courantes de la société.
En ce qui concerne le surplus, c’est-à-dire les liquidités excédentaires, nous préconisons de la mettre au travail mais de façon prudente et facilement accessible, en favorisant des solutions simples, peu coûteuses à mettre en place, et qui délivrent un rendement appréciable avec une très grande certitude. Dans ce sens, les Comptes à Terme ou les fonds monétaires constituent un support idéal pour faire fructifier le cash excédentaire.
Pour un trésorier un peu plus aventureux (ou disposant d’importantes liquidités excédentaires pour une durée plus longue), les CAT peuvent aussi être combinés avec des placements en produits structurés à capital garanti, afin de booster le rendement moyen de la trésorerie.
Enfin, un trésorier agressif pourrait consacrer une modeste proportion de l’enveloppe excédentaire à des classes d’actifs risqués. En reconnaissant qu’en recherchant un rendement bien plus élevé, il pourra subir une perte en capital.
Cet article n’a pas vocation à donner des conseils fiscaux. Mais il est important de garder cet aspect en tête lorsqu’on cherche à optimiser le rendement de la trésorerie d’entreprise. En règle générale, il existe peu de niches fiscales à exploiter, et nous préconisons donc de partir du principe que pour une entreprise commerciale, les gains réalisés sur le placement de la trésorerie excédentaire seront taxés à l’IS, comme les autres profits réalisés par l’entreprise.