S’il fallait faire un classement des plus grands enjeux environnementaux, la protection de la forêt Amazonienne figurerait sans doute dans le top 3. Notamment depuis l’élection du président Brésilien Jaïr Bolsonaro, qui a supprimé une bonne partie des mesures de protection de l’environnement. Et encore plus depuis les incendies qui ont ravagé une partie de l’Amérique du sud.
La surface de la forêt Amazonienne décroît à un rythme en hausse de 25% par an. Et ce malgré des protestations virulentes, exprimées autant par les populations du monde entier que par les dirigeants politiques de certains états, disons, moins populistes que le Brésil. Mais existe-t-il d’autres moyens que l’activisme pour préserver le poumon du monde ? La réponse est oui.
Le problème nous concerne tous
L’Amazonie, qui couvre (encore) un tiers de la surface de l’Amérique du Sud, est l’habitat naturel de 10% des espèces animales et végétales connues et surtout, retient quatre cents milliards de tonnes de CO2, soit l’équivalent de 10 années de production mondiale. La disparition totale de cet écosystème aurait des effets désastreux pour la planète, et accélérerait directement le réchauffement climatique jusqu’à un point de non retour.
Les discours moralisateurs ne marchent pas, et sont injustes
Alors c’est évident, il faut préserver la forêt Amazonienne, dans l’intérêt de tous. Si c’est aussi flagrant que cela, pourquoi les Brésiliens ne le comprennent-ils pas ?
Parce que ce n’est pas aussi simple pour eux. Si vous faites partie des 30 millions de Brésiliens qui vivent en bordure de l’Amazonie, et que vous avez du mal à joindre les deux bouts, le réchauffement climatique est un concept théorique bien loin de vos préoccupations quotidiennes. Ce qui compte, c’est de pouvoir vivre.
Par ailleurs, le Brésil n’est pas un pays très pollueur. Un Français produit en moyenne cinq tonnes de C02 par an, un Américain seize, là où un Brésilien n’en produit que deux et demie. Pointer du doigt l’irresponsabilité des Brésiliens n’est donc pas la bonne méthode, du moins pas avant d’avoir “balayé devant notre propre porte”.
En outre, plusieurs études économiques ont montré que la limitation des exploitations agricoles au Brésil bénéficie directement aux exportateurs américains. “When Brazilian farmers stop, US farmers make more”. Une raison supplémentaire pour les Brésiliens de soupçonner une certaine hypocrisie “occidentale”.
Bref : aucun discours moralisateur, si fondé soit il, ne pourra arrêter la déforestation. D’autant que c’est une des ressources majeures du pays. Imaginez une seconde que les Russes se mettent à nous expliquer pourquoi et comment cesser de produire de l’énergie nucléaire !
Le prix social de la forêt
Peut-être faut-il alors aborder le problème sous l’angle économique. Les fermiers brésiliens abattent ou brûlent des arbres, notamment pour faire de la place à l’élevage bovin (responsable de 80% de la déforestation en 2009). Comme cette terre n’est ni particulièrement favorable à l’élevage de vaches, ni située proche des consommateurs de viande, elle ne vaut pas grand chose : environ mille dollars par hectare de forêt dégagée, pour être précis.
Pour la forêt vierge, le calcul de sa valeur monétaire est un peu plus complexe. Michael Greenstone, professeur à l’université de Chicago et conseiller économique du Président Obama a donc conceptualisé le “coût social du carbone” [1]. Il a estimé qu’une tonne de CO2 coûtait environ cinquante dollars à la société mondiale. À raison de cinq tonnes par an, chaque Français est donc virtuellement responsable de deux cent cinquante dollars de dommages à l’échelle mondiale, là où nos amis les Américains, avec leurs seize tonnes, en représentent huit cents.
En appliquant ce prix “à la tonne” au carbone stocké dans un hectare de forêt vierge, il a estimé que sa valeur sociale dépassait les vingt-huit mille dollars. Pour le formuler différemment : un hectare de forêt Amazonienne compense les émissions de CO2 de 112 Français.
La valeur d’un hectare de forêt vierge est donc incontestablement supérieure à celle du même hectare défriché. Économiquement parlant, il serait donc parfaitement rationnel de payer les fermiers pour préserver, voire même replanter la forêt.
De la théorie à la pratique
L’exemple le plus parlant d’une telle politique est sans doute la reforestation des rives de la Rivière de Perle dans la région de Guangzhou, en Chine. En 1998, après des années de déforestation en amont de la rivière, une terrible inondation affecte des millions de personnes et cause plus de 35 milliards d’euros de dégâts. En cause ? Le manque d’arbres. Les forêts agissaient en effet comme régulateur du niveau de la rivière. Les dirigeants Chinois ont donc — comme à leur habitude — déployé les grands moyens, et 120 millions de foyers ont reçu des primes pour replanter des arbres. Dix ans et l’équivalent de 125 milliards d’euros plus tard, les résultats sont parlants : le risque d’inondation est maîtrisé, la quantité de carbone retenue par la végétation est en forte croissance et la forêt ainsi régénérée protège même contre les tempêtes de sable en provenance du nord. Il va sans dire que les retombées économiques dépassent de loin les dépenses du gouvernement.
Une histoire similaire s’est déroulée au Costa Rica. En 1996, le pays connait un taux de déforestation de 4% par an, ici aussi, pour servir principalement au développement agricole. Problème : la destruction de la biosphère Costaricaine affecte terriblement le tourisme, très lié à la beauté de l’environnement naturel. Le tourisme rapportant beaucoup plus que l’agriculture au pays, les dirigeants locaux ont décidé de payer les fermiers pour planter des arbres, plutôt que de les abattre. Une opération paradoxalement très rentable.
Ces deux exemples montrent qu’un “bon deal” peut suffire à associer les populations locales à la protection de la forêt. Et ce pour des prix qui sont rapidement compensés par les bénéfices économiques et environnementaux.
Pour l’Amazonie, une solution existe
Plutôt que de faire la morale aux Brésiliens, essayons donc de faire des affaires. Ils aiment ça. Dans une interview donné au Financial Times, le ministre de l’environnement Ricardo Salles a récemment annoncé la création du programme Adote um Parque (pour Adopte un Parc) et proposé aux investisseurs internationaux “d’aider à prendre soin de l’Amazonie”. Ce programme permet aux fonds d’investissement, banques et autres multinationales de louer 132 lots qui, ensemble, couvrent 15% de la forêt Amazonienne au Brésil, soit une surface plus grande que le Chili !
Le prix proposé ? 120$ par hectare par an, soit un 0,4% de sa valeur théorique de 28 000$. Une broutille !
La proposition du gouvernement brésilien - et vu le président actuel - peut paraître cynique voire malhonnête. Mais si cette initiative assure effectivement la préservation du “poumon du monde” c’est une opportunité pour les investisseurs aux convictions vertes de joindre l’acte à la parole et de mutualiser le coût abordable de la protection de notre planète.
1 — Pour plus de détails : http://impactlab.org/research-area/social-cost/
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