Qui s’oppose à l’investissement responsable ?
De hauts responsables Républicains combattant l’investissement responsable
Cela peut sembler incongru que de s’opposer activement à l’investissement responsable. On peut ne pas y croire, ou encore craindre qu’un placement responsable rapportera moins qu’un placement traditionnel. Mais de là à s’opposer à ce que les fonds de gestion y dédient des ressources, cela peut choquer.
En toute transparence, les cofondateurs de Cashbee sont convaincus que l’allocation de l’épargne a un rôle moteur à jouer pour assurer la protection de la planète et tendre vers l’équité sociale. Nous pensons aussi que l’investissement socialement responsable (ISR) peut se faire, sans nécessairement sacrifier le rendement, ou prendre plus de risques. Et il nous semblait que la tendance à favoriser les placements verts était - heureusement - inarrêtable.
Mais voilà que le lobbying contre l’investissement vert est en train de gagner du terrain, notamment aux États-Unis. Aux USA, le très puissant parti Républicain, dont de nombreux membres occupent des postes à très haute responsabilité, est notamment de plus en plus ouvertement opposé aux placements vertueux, d’un point de vue des critères ESG, pour Environnement, Social et Gouvernance.
Pourquoi attaquer l’investissement socialement responsable ?
Plusieurs stratégies d’investissement existent pour permettre aux gestionnaires d’orienter leur épargne en faveur de la transition énergétique, de façon socialement responsable. Une des stratégies les plus répandues par les fonds verts ou éco-responsables est de procéder par exclusion, c’est-à-dire de s’interdire d’investir dans les secteurs les plus polluants de l’économie. Typiquement, le fonds responsable (labellisé ESG ou ISR) va alors exclure les titres de sociétés actives dans les secteurs du pétrole, les activités minières, le tabac et l’armement de son portefeuille.
Or les États du Texas, de la Virginie de l’Ouest et de l’Oklahoma demeurent très dépendants du pétrole et du gaz. Pour leurs gouverneurs (tous Républicains), les grandes sociétés pétrolières sont parmi les plus importants employeurs et payeurs d’impôts de leurs États. Sans parler du rôle qu’elles peuvent jouer dans le financement des campagnes électorales.
Tout effort qui consisterait à détourner l’épargne de ces grandes entreprises affecterait aussi la santé financière de l’État et de ses habitants. Or ce sont bien ces derniers qui élisent leurs gouverneurs …
Donc au-delà d’un scepticisme plus ou moins réel que certains élus peuvent avoir au sujet de l’efficacité de l’investissement responsable, il s’agit pour eux de protéger l’emploi et l’économie de leurs juridictions … et de maximiser leurs chances de réélection.
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L’arme du boycott
Ces élus républicains disposent de deux leviers importants pour mettre sous pression les institutions qui favorisent l’investissement responsable : le premier est financier, le second juridique.
Expliquons d’abord le levier financier. Les gouverneurs et autres décideurs politiques contrôlent directement ou indirectement d’importants volumes d’épargne, notamment à travers les fonds de pension des fonctionnaires de l’État. Et les pouvoirs publics engagent les services de gestionnaires d’actifs pour faire fructifier cette épargne, afin de pouvoir verser les retraites dans le futur.
Ces mandats de gestion, très lucratifs, sont obligatoirement alloués via des procédures de sélection strictes et transparentes, mais les élus ont parfaitement le droit d’exclure certains prétendants de la course aux mandats de gestion.
La Virginie de l’Ouest a été la première à dégainer cette arme en 2022. L’État américain a publiquement exclu cinq sociétés de gestion de la liste des gestionnaires éligibles aux mandats de gestion de l’argent public. Pour être clair, cette liste incluait des mastodontes, comme Blackrock, Goldman Sachs et JP Morgan ! Et l’État a été clair sur ses motivations : pour elle, les cinq firmes boycottaient l’industrie des énergies fossiles, par leurs politiques d’investissement restrictives. L’État de l' Oklahoma a suivi le pas en 2023. Et nous avions dédié un article aux mesures anti-investissement responsable prises au Texas.
La menace de poursuites juridiques
Les opposants aux investissements responsables poursuivent également des initiatives sur le plan juridique pour limiter la croissance de ce secteur financier.
Aux États-Unis, les lois obligent les gestionnaires d’actifs d’agir “uniquement en faveur des intérêts économiques à long terme de leurs clients”. Le premier argument juridique des opposants à l’investissement socialement responsable est qu’un gérant de ce type dévie de sa mission, sa préoccupation étant d’assurer aussi que les placements de ses clients contribuent à la protection de la planète. Les objectifs environnementaux et/ou sociaux du portefeuille de ce gérant seraient donc contraires à la loi.
La législation américaine interdit également à des grands acteurs d’un même secteur d’agir de concert. Or depuis plusieurs années, un nombre croissant de gestionnaires d’actifs - dont de nombreuses firmes américaines - ont rejoint des coalitions internationales, créées pour mieux se coordonner dans le secteur naissant et en forte croissance de l’investissement responsable et des fonds labellisés ESG, Greenfin ou encore ISR.
Aujourd’hui, 21 procureurs généraux, de plusieurs États différents, tous Républicains, ont formellement lancé des investigations. Ils estiment qu’en se réunissant sur une même thématique, les gérants de fonds agissent de concert, à l’encontre de grandes entreprises pétrolières. Ce qui, là aussi, pourrait être contraire à loi.
Les géants de l’investissement craquent sous la pression
Les menaces, les mesures d’exclusion et autres efforts de lobbying de toute sorte, ont-ils un impact sur l’industrie ?
La réponse est malheureusement positive. Prenons le cas de la coalition mondialement connue du groupement Climate Action 100+. Elle fut créée en 2017 et regroupe aujourd’hui environ 700 gestionnaires d’actifs dans le monde, qui se sont engagés à utiliser leur pouvoir d’influence pour mettre la pression sur les entreprises polluantes, et les encourager à décarboner.
Sur papier, cette initiative était puissante, parce que les gestionnaires de fonds sont après tout souvent des actionnaires, potentiellement importants, des entreprises polluantes visées. Donc leur opinion doit être écoutée par les équipes de direction. Et si celles-ci ne donnent pas suite, les gestionnaires d’actifs peuvent menacer de vendre leurs participations. Si plusieurs d’entre elles mettent leurs menaces à exécution, l’effet sur le cours de bourse de l’entreprise en question serait sans doute brutal.
Cette semaine, 3 des 5 plus grands gestionnaires d’actifs américains ont significativement affaibli Climate Action 100+ : State Street et JP Morgan ont annoncé qu’ils quittaient l’organisation, alors que Blackrock va réduire son implication.
Quand on sait que les deux sociétés qui complètent le top-5, Vanguard et Fidelity, n’ont jamais rejoint Climate Action 100+, le coup est dur pour cette coalition, et son efficacité grandement réduite.
Between a (Black)Rock and a hard place
Ou entre le marteau et l’enclume. C’est bien la situation délicate dans laquelle se retrouvent les sociétés de gestion américaines.
D’un côté, la pression juridique et financière des Républicains les force à se désengager d’initiatives et de stratégies perçues comme étant (trop) vertueuses. Et de faire profil bas sur le sujet, s’ils veulent gagner des mandats de gestion prestigieux et rentables alloués par des acteurs du secteur public.
De l’autre, un nombre grandissant d’investisseurs et d’épargnants exigent que leurs économies soient dirigées vers des entreprises vertueuses et que leurs placements visent des rendements financiers tout en respectant des critères extra-financiers. Ces derniers pourraient tout à fait changer de fournisseur s’ils estiment que le gérant avec lequel ils ont l’habitude de travailler n’est pas lui-même socialement responsable.
Il se trouve qu’aujourd’hui, l’appétit pour les placements verts se tasse quelque peu (après des années de très forte croissance) et que la pression politique anti-ISR augmente fortement.
L’éducation financière indispensable
Pour conclure, on observe aisément que les investisseurs institutionnels aux US sont tiraillés entre le besoin (et l’envie ?) de pouvoir proposer des solutions de placement responsables à leurs clients, et les pressions politiques républicaines qui s’y opposent avec vigueur.
Il nous semble que cela souligne - entre autres - le besoin de continuer à éduquer les épargnants (qui sont aussi des électeurs) sur l’importance du rôle que doit jouer l’épargne pour accompagner la transition énergétique.
Car sans elle, sur le long terme, nous serons tous perdants, que l’on soit Démocrate, Républicain ou autre …
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