Les investisseurs professionnels se trompent aussi

Dec 9, 2022

Ce fut un mois compliqué pour la réputation des investisseurs professionnels. Plusieurs investisseurs professionnels réputés ont soutenu des projets qui se sont avérés être des châteaux de cartes, et ont essuyé de lourdes pertes au passage. À tel point que l’on peut se poser la question de savoir si ces investisseurs sont si “professionnels” qu’ils le prétendent. 

Les scandales s’accumulent

FTX et Theranos à la une

Deux affaires ont défrayé la chronique dans le monde financier le mois dernier. La première : l’effondrement de la plateforme de trading crypto FTX. La seconde : le jugement d’Elizabeth Holmes, tristement célèbre fondatrice de Theranos, start-up qui promettait de révolutionner le domaine des tests sanguins. Elle a été condamnée à 11 ans de prison pour fraude. Sa société s’est avérée être une vaste fumisterie. 

Dans les deux cas, on parle d’entreprises qui, de l’extérieur, avaient tout pour plaire. Elles étaient valorisées à plusieurs milliards de dollars, juste avant que l’on ne dissipe l’écran de fumée. 

Et dans les deux cas, les fondateurs à peine trentenaires et soi-disant visionnaires avaient réussi à convaincre des investisseurs professionnels prestigieux de devenir actionnaires, en investissant jusqu’à des dizaines, et même des centaines, de millions.

Les investisseurs paient leur manque de rigueur

Dans le cas de la plateforme de crypto FTX, son fondateur Sam Bankman Fried — plus connu sous ses initiales SBF — a convaincu le fonds de capital risque (ou Venture Capital) Sequoia d’investir 214 millions de Dollars dans sa boîte. On parle du même Sequoia qui a financé des licornes comme Apple, Zoom, AirBnB, et WhatsApp quand ils n’étaient que des modestes start-ups. Tiger Global, connu pour avoir cru en Zendesk, Snowflake et Facebook à leurs débuts, a aussi investi 38 millions de Dollars dans la plateforme. Tout comme le fonds de pension des professeurs d’école de l'État d’Ontario, qui a investi 95 millions de Dollars. Temasek, le fonds souverain de l’État de Singapour, figure également sur la liste des actionnaires lésés. 

Quant à Théranos, la société avait levé environ 1,3 milliards de Dollars au total, obtenus auprès d’hommes d’affaires réputés, comme Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, ou encore le magnat des médias Rupert Murdoch. Mais aussi auprès de fonds d’investissement professionnels tels que Fortress. 

Et cela fait mal, … aussi au petit porteur !

Ces investisseurs ont probablement perdu la totalité de leurs mises. Et alors ? Après tout, que quelques milliardaires fassent un mauvais pari ne nous concerne pas. On pourrait même dire que c’est le métier du capital risque de… prendre des risques ! Et puis, comme l’indique Sequoia dans un courrier à ses investisseurs, la position de 150 millions d’euros sur FTX (qui en vaut maintenant zéro) ne représentait que 3% du portefeuille du fonds. 

Oui, sauf que ces fonds d’investissement gèrent, directement ou indirectement, l’épargne d’individus comme vous et moi. L’exemple du Ontario Teachers Pension Fund et de Temasek sont les plus parlants. Le premier gère l’argent qui sert à payer les retraites des professeurs d’école de l’État canadien du même nom. Le second gère le surplus de capital de la nation, pour le compte de ses habitants.

Il est donc pertinent de leur demander de rendre des comptes. Que certains investissements s’avèrent peu rentables, cela peut arriver. Mais le nouveau CEO de FTX chargé d’orchestrer sa liquidation, décrit n’avoir jamais trouvé “une telle défaillance de contrôles internes, ni une telle absence d’informations financières fiables”. N’y avait-il donc pas eu la moindre analyse de faite, avant d’investir des dizaines de millions de Dollars dans ces “success stories” en carton ?

L’importance des vérifications préalables : la due diligence

Traditionnellement, les investisseurs professionnels font tout une batterie de tests et d’analyses, avant d’engager leur capital. Ensemble, les différentes vérifications s’appellent la Due diligence. Dans le cadre de la dernière levée de Cashbee par exemple, le fonds 115K, de La Banque Postale et My Money Group ont épluché nos comptes, avec l’aide d’un expert comptable, validé l’existence et la validité de nos partenariats, constaté l’authenticité de nos agréments et nos contrats de travail, avec l’assistance d’un avocat, etc. C’est un gros boulot, mais c’est évidemment nécessaire !

Ces vérifications n’ont clairement pas été conduites en profondeur dans les cas de Theranos et de FTX. Pourquoi des investisseurs aussi expérimentés que Sequoia ou l’Ontario Teachers Pension Fund ont-ils fait cette impasse ?

Potentiellement pour plusieurs raisons. Premièrement, sur les start-ups les plus en vogue, la compétition entre investisseurs est rude. C’était notamment le cas il y a quelques années aux États-Unis car, dans un contexte de taux négatifs, les investisseurs étaient prêts à prendre d’énormes risques pour aller chercher un rendement élevé. Il est probable que certains d’entre eux aient pu assouplir leurs standards pour mieux séduire des entrepreneurs qui n’avaient que l’embarras du choix parmi une foule d’investisseurs potentiels.

Deuxièmement, il est probable que certains investisseurs se soient reposés sur la présence d’autres investisseurs de renom pour se dispenser de vérifications effectuées en nom propre. Après tout, si des très grands acteurs comme SoftBank ou Sequoia ont investi, cela devrait vouloir dire que c’est du solide. Ils y sont donc allés — littéralement — les yeux fermés.

Quels enseignements tirer ?

Il nous semble qu’il y a plusieurs leçons à tirer des erreurs fondamentales commises par ces VCs.

Premièrement, se reposer uniquement sur l’opinion des autres est très dangereux. Le bon tuyau d’un copain crédible peut s’avérer être une excellente affaire, mais cela ne doit jamais dispenser de faire ses propres recherches.

Deuxièmement, méfiez-vous lorsqu'on vous exhorte à décider en très peu de temps. Typiquement quand “beaucoup de monde est sur le coup”. Il peut arriver que des situations de marché particulièrement favorables créent de la pression sur l’offre de capital plutôt que sur la demande, mais comme dit le légendaire investisseur Warren Buffet, “n’investissez jamais dans un business que vous ne comprenez pas”. C’est ce même Warren Buffet qui a “loupé le coche” entre 1995 et 2000 en refusant d’investir dans des jeunes sociétés qui connaissaient une croissance exponentielle… puis la bulle internet a éclaté. 

Et enfin, si une proposition d’investissement vous paraît trop belle pour être vraie, alors ces vérifications sont doublement nécessaires.

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