Total Energies, Apple, Shell, LVMH, L’Oréal et BP ont tous annoncé des programmes de rachat d’actions importants. Comme son nom l’indique, cela consiste pour une entreprise cotée à racheter ses propres actions. Et c’est très à la mode aujourd’hui. De quoi s’agit-il exactement ? Pourquoi ces opérations sont-elles aussi populaires ? Et est-ce que c’est avantageux pour les actionnaires de ces entreprises ?
Le rachat d’actions expliqué
Un exemple simple
Lorsqu’une entreprise génère des bénéfices, elle peut décider d’en distribuer une partie à ses actionnaires. Généralement, cette distribution se fait sous forme de dividendes, mais de plus en plus de sociétés décident d’adopter une technique alternative, et procèdent à des rachats d’actions.
Le concept peut être complexe à saisir, nous allons donc l’illustrer.
Imaginons qu’une société ait 20 actionnaires qui possèdent chacun 2 actions. Le total des actions en circulation est donc de 40. Et chaque actionnaire possède ainsi 2 ÷ 40, soit 5% du capital.
L’entreprise réalise des profits et décide d’en utiliser une partie pour racheter 8 de ces 40 actions. Elle le fait auprès de 4 investisseurs prêts à vendre leurs parts. Après le rachat, les 16 actionnaires restants possèdent toujours 2 actions chacun, mais il n’y a plus que 32 actions en circulation, Ils détiennent donc alors 2 ÷ 32, soit 6,25% de l’entreprise.
Magique ? Pas vraiment. Car la société a dépensé de l’argent qui appartient aux actionnaires — une partie de ses bénéfices — pour réduire le nombre de convives qui se partagent le gâteau. La part de chacun est donc mécaniquement devenue plus grosse.
Un phénomène gigantesque
Les montants en jeu sont colossaux. Apple est la société qui exécute le plus grand nombre de rachats d’actions au monde. Dans les 10 ans précédant le second trimestre de l’année dernière, la firme à la pomme a ainsi dépensé plus de 557 milliards de Dollars pour racheter ses actions. Cette somme dépasse la capitalisation boursière de 494 des 500 entreprises incluses dans le S&P 500, l’indice boursier qui regroupe les 500 plus grosses sociétés américaines cotées.
Et le phénomène concerne de plus en plus de sociétés européennes. L’année dernière, celles-ci ont collectivement annoncé le rachat pour l’équivalent de 350 milliards de Dollars d’actions, en forte hausse par rapport aux 200 milliards de Dollars de l’année précédente. Cela correspond à 2,4% de la capitalisation boursière cumulée de ces sociétés.
Pourquoi racheter ses propres actions ?
Envoyer un signal positif
Tout d’abord, rappelons que les entreprises qui distribuent une partie des profits réalisés à leurs actionnaires — que ce soit par augmentation des dividendes ou rachat d’actions — envoient un signal positif. Elles ont, après tout, généré suffisamment de bénéfices pour en rendre une partie aux actionnaires.
En choisissant de la faire par voie de rachat d’actions, la direction de l’entreprise indique qu’elle estime que le cours de l’action est bas. Et donc attractif à leurs yeux. C’est la raison pour laquelle l’annonce d’un programme de rachat peut suffire pour donner un coup de boost aux cours de l’action.
Augmenter (mécaniquement) les bénéfices par action
Comme nous l’avons constaté ci-dessus, le rachat d’action conduit à une réduction mécanique du nombre d’actions en circulation. Il fera donc automatiquement grimper les bénéfices par action, qui est une mesure que de nombreux analystes suivent de près pour déterminer l’attractivité de telle ou telle valeur. Soyons clairs, faire monter le bénéfice par action en réduisant le nombre total des actions en circulation ne change rien à la profitabilité de la société. Mais il n’empêche que ce ratio est favorablement impacté par cette opération financière.
Pas que des avantages
Bénéfices exceptionnels
Le rachat d’actions peut signaler le caractère exceptionnel des bénéfices réalisés. En effet, lorsqu’une entreprise augmente ses bénéfices de façon régulière, année après année, elle choisira probablement d’augmenter progressivement les dividendes qu’elle verse à ses actionnaires. Certaines sociétés sont même connues parce qu’elles ont réussi à verser des dividendes égaux ou supérieurs à ceux distribués l’année précédente pendant plusieurs décennies. Nous avons consacré tout un article à ces “aristocrates des dividendes”.
Cependant, les équipes de management savent qu’il est dangereux de réduire, ou pire encore, de couper les dividendes versés. Les actionnaires, habitués à recevoir ces dividendes de façon régulière, seraient furieux. Or, si vous avez eu une excellente année, mais que vous n’êtes pas certain de pouvoir répliquer cette performance, le rachat d’actions vous permet de distribuer une partie de ces profits exceptionnels à vos actionnaires, sans augmenter le niveau des dividendes.
C’est le cas par exemple des sociétés pétrolières, qui en 2022 ont réalisé des bénéfices records, notamment grâce à la très forte hausse du cours du baril de pétrole. Comme elles ne sont pas certaines de l’évolution future du prix du baril, elles sont nombreuses à avoir recours au rachat d’actions pour partager le fruit de ces retombées financières avec leurs actionnaires.
Le rachat d’action, signe d’un manque d’opportunités de réinvestissement ?
Une société qui génère beaucoup de profits a toujours la possibilité de réinvestir ses profits pour soutenir sa croissance et investir dans de nouvelles activités. En choisissant de racheter ses propres actions, elle signale certes qu’elle pense que les actions s’échangent à un cours trop bas. Mais elle indique aussi qu’elle n’a pas trouvé de meilleur emploi pour l’argent gagné que de le rendre aux actionnaires.
Notons que le cas d’Apple est un peu exceptionnel, dans le sens où cette entreprise génère tellement de profits qu’elle peut procéder à des programmes de rachat d’actions massifs, tout en investissant des budgets gigantesques en recherche et développement. Mais rappelons aussi que pendant longtemps, Steve Jobs, le patron emblématique d’Apple refusait de verser des dividendes (ou de racheter des actions), estimant qu’il y aurait toujours des projets innovants dans lesquelles son entreprise devait investir. C’est entre autres grâce aux efforts de lobbying du fameux actionnaire activiste Carl Icahn en 2014 qu’Apple a changé son fusil d’épaule.
Un outil comptable pour maximiser les salaires des dirigeants ?
Dans de nombreuses entreprises, la rémunération du top management est en grande partie liée à la valeur créée. Si celle-ci est entre autres mesurée par le ratio des bénéfices par action, on voit aisément comment une équipe de direction, sous pression pour délivrer des résultats financiers en croissance, peut être tentée de booster ce ratio en ayant recours à un rachat d’actions. Même si les revenus de l’entreprise n’augmentent pas, la réduction du nombre d’actions en circulation fera son effet.
Ceci… au risque de fragiliser la structure financière de l’entreprise ! Car n’oublions pas que l’argent dépensé par la société pour racheter ses actions aurait pu se trouver en réserves, ce qui renforce le capital de la société.
Pour conclure, dans un contexte volatil, mais où de nombreuses sociétés continuent de réaliser d’importants bénéfices, il est logique de voir le nombre et le volume des rachats d’actions augmenter. Cela témoigne à la fois de la bonne santé financière de ces entreprises, mais aussi de l’incertitude qu’elles ont sur leurs capacités de préserver les niveaux de profitabilité actuels. Il s’agit donc d’une technique financière adaptée pour rendre une partie des profits aux actionnaires, en temps d’incertitude. Mais ne vous y trompez pas, l’amélioration des bénéfices par action qui en résulte est mécanique, et pas la conséquence de brillantes décisions stratégiques prises par le management !
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