Il y a quelques jours, nous avons publié un article intitulé “Qu’est-ce qui causera le prochain krach boursier ?”. Nous n’aurions évidemment pas pu deviner que les marchés financiers seraient aussi fortement secoués quelques jours plus tard. Pourquoi les cours de bourse ont-ils dévissé aussi brutalement ? Qu’est-ce qui a déclenché ce qui ressemble fort à une correction significative ?
Correction brutale au Japon
Après une semaine où les cours de bourse ont faibli sur tous les continents, c’est au Japon qu’un vent de panique a soufflé, le lundi 5 août, faisant chuter l’indice Topix de 12%, un record depuis le “Black Monday” (ou “lundi noir”) de 1987.
Les autres bourses en Asie finissent également la journée dans le rouge, en baisse de plusieurs pourcents. Cette chute se propage en Europe (l'indice EuroStoxx 600 perd 2,2% et l'indice Footsie 2%) et aux États-Unis, où les indices boursiers avaient déjà fini en baisse la semaine précédente. L'indice S&P 500 finit la journée en baisse de 3% et l'indice Nasdaq perd 3,4%, les deux indices ayant regagné une partie de la baisse plus forte enregistrée dans le courant de la journée. On peut donc parler d’une correction boursière planétaire.
En pleine tourmente et à chaud, essayons de revenir, brièvement et sans trop de jargon, sur les déclencheurs de ce retournement de marché.
Qu’est-ce qui a causé la chute brutale du marché ?
En quelques mots, les statistiques économiques récentes remettent sérieusement en cause le scénario rose auquel les investisseurs, dans l’ensemble, croyaient. Dans ce scénario, les banques centrales du monde, et notamment la Fed aux État-Unis allaient réussir à maîtriser l’inflation, pour la ramener à son niveau cible d’environ 2%, sans tuer la croissance économique.
Sauf que voilà …
Le rapport sur l’emploi aux États-Unis publié vendredi dernier soulignait que les entreprises américaines recrutaient beaucoup moins qu’anticipé. Ce qui a renforcé les craintes larvées que l’économie la plus importante au monde pourrait souffrir des coûts d’emprunt élevés. De nombreux dirigeants d’entreprises avaient d’ailleurs signalé, à l'occasion de la présentation de leurs résultats semestriels, que les consommateurs avaient commencé à réduire leurs dépenses.
Ces éléments s’ajoutent à un ralentissement de la croissance économique mondiale, la zone euro souffrant de tensions géopolitiques et l’économie chinoise n’ayant toujours pas retrouvé son lustre.
Enfin, et nous y reviendrons, le Japon a mis de l’huile sur le feu, en accélérant son changement de politique monétaire, et en adoptant une stratégie restrictive. Cela s’est traduit par une hausse des taux directeurs inattendue, bouleversant le marché du change.
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Découvrir l'appPourquoi la chute est si brutale ?
Le scénario de l'atterrissage en douceur (le “soft-landing”), où l’inflation tomberait sans gêner la croissance économique, avait propulsé les valorisations boursières à des niveaux records. L’enthousiasme pour toute activité touchant à l’Intelligence Artificielle, censée révolutionner le monde économique, avait notamment poussé les cours de bourse des mastodontes de la tech, comme Nvidia, Apple, Google et Meta. Depuis le début de l’année, le S&P 500, l’indice boursier phare de Wall Street, avait monté de presque 20% pour atteindre un record historique le 16 juillet dernier.
En bourse, les chutes ont tendance à être plus brutales que les hausses. Sachant que nous avions atteint des sommets, il n’est pas surprenant de constater que la baisse des cours de bourse puisse se compter en plusieurs pourcents sur une seule journée.
Surtout que les actions étaient devenues relativement “chères”, sur une base historique. Toujours en évitant un cours de finance trop technique, il est facile de rapporter le cours de bourse aux bénéfices réalisés par l’entreprise. Cela s’appelle le Price Earnings Ratio. Plus celui-ci est élevé, et plus l’action vaut chère (reflétant typiquement des anticipations des investisseurs que la société en question va pouvoir fortement augmenter ses bénéfices dans les années à venir).
Or, le PE ratio du S&P 500 avait dépassé 20 la semaine dernière, à comparer avec sa moyenne historique de 16,5 depuis le début du siècle. Autrement dit, les 500 actions constituant le S&P 500 s’échangeaient, en moyenne, à plus de 20 fois les bénéfices, contre seulement 16,5 fois historiquement.
Dernier élément qui peut contribuer à l’accélération des mouvements de marché (à la hausse comme à la baisse) : au début du mois d’août les responsables de desk et les traders seniors sont souvent en vacances, ce qui conduit à un assèchement des volumes d’échange. Quand les marchés sont moins liquides, les ordres de vente peuvent causer des ajustements de prix (à la baisse) plus importants.
Quel est le rôle joué par les grandes valeurs technologiques ?
Nous avions déjà consacré un article au Sept Magnifiques, ces 7 valeurs de la tech qui a eux seuls représentent plus de la moitié de la totalité de la performance du S&P 500. Nvidia, Apple, Microsoft, Amazon, Alphabet, Meta, et Tesla ont été le moteur derrière la hausse du marché, mais ces valeurs boursières sont aujourd’hui sous pression et au centre de la tourmente actuelle.
Cette pression sur les valeurs technologiques a plusieurs origines :
Premièrement, la très forte hausse des ces actions a logiquement conduit de nombreux investisseurs à vouloir s’alléger sur le secteur et prendre quelques gains. Cette idée se fait d’autant plus alléchante quand on apprend que le légendaire Warren Buffett a décidé de réduire sa position dans Apple (dont il est le plus important actionnaire) de moitié.
Deuxièmement, il est également légitime de se demander si les bénéfices, sans doute multiples, de l’Intelligence Artificielle vont vraiment créer autant de valeur que les fans les plus enthousiastes prétendent.
Enfin, et surtout, un certain nombre d’acteurs technologiques ont annoncé des résultats semestriels décevants. Le fabricant de puces électroniques Intel a ainsi dû annoncer un nouveau plan de restructuration et des réductions d’effectifs importants. Cela a suffi, non seulement pour faire perdre 30% à l’action d’Intel, mais aussi de faire baisser les cours des autres fabricants de puces dans le monde.
Pourquoi le Japon est particulièrement touché ?
La chute de 12% du Topix efface en une seule journée les gains de l’année. La cause de la chute particulièrement brutale à Tokyo est à chercher du côté du change.
En effet, alors que la plupart des grandes banques centrales se demandent quand et à quelle vitesse réduire leurs taux directeurs, la Banque du Japon cherche à resserrer la vis, en augmentant les taux directeurs.
En étant à contre courant, cela stimule le renforcement de la devise japonaise, le Yen, contre les devises étrangères, dont notamment le US Dollar. En effet, avec une baisse des taux directeurs aux US, placer son argent à la banque en Dollars deviendra de moins en moins rentable, alors que la hausse des taux au Japon renforce naturellement l’attrait des dépôts en Yen.
Depuis la fin du mois de juin, le Yen s’est apprécié de plus de 12% contre le Greenback américain (ce qui représente un mouvement gigantesque sur le marché du change). Un tel renforcement de la devise va compliquer la vie de toute entreprise japonaise exportatrice.
Par ailleurs, le rallye des actions japonaises a été notamment stimulé par les investisseurs étrangers. Lorsqu’il s’agit de réduire le niveau de risque au sein d’un portefeuille d’investissements, il est coutumier de commencer par prendre des bénéfices en vendant des participations prises à l’étranger. CQFD.
Enfin, le rôle de la Fed
Comme anticipé, il y a une dizaine de jours, la banque centrale américaine, la fameuse Federal Reserve, n’a fait que maintenir ses taux directeurs au-dessus de 5%.
Mais depuis, le rapport sur l’emploi a convaincu un nombre important d’investisseurs que la Fed a trop attendu avant d’entamer son cycle de baisse des taux, et que l’économie américaine se dirige désormais vers une récession.
Seul le temps dira si la Fed aurait en effet dû intervenir plus tôt, pour stimuler l’économie américaine, et, par ricochet, l’économie mondiale.
À suivre, car ce matin, la bourse de Tokyo rebondit fortement ...
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