Soyons clairs, chez Cashbee, nous pensons le contraire. Mais la conférence provocante donnée récemment par un dirigeant de la banque HSBC stimule le débat (et déclenche un tollé).
Le moment “What the f …”
Tout allait bien, jusqu’à…
Imaginez la scène. Des intervenants se succèdent depuis 9 heures du matin sur la scène d’une conférence organisée par le Financial Times, et soulignent l’énormité de la catastrophe qui nous attend si rien n’est fait pour endiguer le réchauffement climatique. L’audience est un peu assommée par tant de catastrophisme — quoique légitime et nécessaire — et écoute chaque speaker d’une seule oreille. Un dernier intervenant les sépare de la pause café tant attendue. Quand soudain…
Le risque climatique n’est PAS un problème pour les investisseurs
Cette présentation est d’autant plus surprenante qu’elle n’est pas faite par un climato-sceptique notoire, mais par Stuart Kirk, le patron mondial de l’investissement socialement responsable (ISR) d’HSBC. Il en fait même le titre de sa présentation.
Il délivre sa thèse avec beaucoup d’aplomb et un brin d’humour British. Selon lui, les gouverneurs des banques centrales et les PDGs de fonds d’investissement exagèrent énormément les risques associés au changement climatique.
Une argumentation à contre-courant
Avant d’hurler à l’hérésie, revoyons calmement un certain nombre de ses arguments. Après tout, ce monsieur est tout de même diplômé de Cambridge et ancien journaliste du Financial Times. Il n’est par ailleurs pas climato-sceptique et reconnaît pleinement que le réchauffement de la planète est en cours. Il dit juste qu’un investisseur peut ignorer ou du moins largement minimiser ce risque. Pour plusieurs raisons :
L’humain exagère les risques. Le risque climatique n’est pas une exception
L’histoire montre que nous avons tendance à exagérer les risques : certains lecteurs un peu plus âgés s’en souviendront s’en doute, mais à l’approche de l’an 2000, la crainte de vivre la défaillance mondiale des systèmes informatiques était énorme. Car les ordinateurs n’auraient pas été programmés pour accepter des dates au-delà du 31 décembre 1999. L’apocalypse informatique anticipée — appelée le risque Y2K — n’a bien sûr jamais eu lieu.
Des chiffres faussement alarmistes
Les militants environnementalistes expliquent que le réchauffement climatique est extrêmement coûteux. Ainsi, des chercheurs ont démontré qu’une remontée des températures pourrait coûter 5% du Produit National Brut mondial, d’ici 2100. Sans préciser que d’ici 2100 le monde sera — toujours selon Kirk — de 500 à 1000% plus riche. “Tu enlèves 5% de cette croissance de 500% à 1000%, et alors ? Personne ne s’en rendra compte.”
Une modélisation irréaliste
Toujours selon Kirk, les banques centrales ont publié des projections peu réalistes et, selon lui, trop catastrophistes. Elles sont nombreuses à avoir émis des rapports mettant en évidence l’impact désastreux du réchauffement climatique sur la croissance économique des États. Mais il souligne qu’elles ont largement dramatisé les hypothèses de calcul pour arriver à de tels résultats. Ainsi, la banque centrale des Pays-Bas inclut dans son modèle une baisse du PNB, un choc fiscal massif et une hausse des taux d’intérêt significative, pour, en effet, arriver à des résultats alarmants. Il en déduit que le risque climatique n’est pas le plus préoccupant, car sinon les banques centrales n’auraient pas eu besoin d’ajouter ces facteurs aggravants dans le calcul.
La capacité d’adaptation
Autre argument : l’histoire montre que l’humain a une capacité étonnante à s’adapter. Pour illustrer ce point Kirk a délibérément provoqué l’audience en prenant quelques exemples très parlants.
Selon les experts, le réchauffement climatique conduirait inexorablement à une montée du niveau des océans. Une ville comme Miami se retrouverait alors à 6 mètres sous le niveau de la mer. So what ? “Amsterdam est à 6 mètres sous le niveau de la mer depuis plus d’un siècle et c’est une ville charmante”.
De catastrophe en catastrophe, les marchés montent
Pour conclure, et en combinant tous les éléments précédents, Kirk rappelle que depuis que la progression des marchés financiers se mesure, la bourse a toujours monté d’environ 6,5% par an en moyenne. Cette période inclut deux guerres mondiales, la crise du pétrole, la grande crise financière et, plus récemment, une pandémie mondiale.
Son message en trois points :
- Oui, le risque climatique existe et le réchauffement climatique est en cours ;
- Mais, non, ce n’est pas LE risque majeur pour les investisseurs et les grandes institutions financières ;
- Ces dernières devraient donc consacrer beaucoup moins de temps qu'elles ne le font aujourd’hui à ce sujet, très chronophage.
L’aftershow
Kirk sur la touche
Les patrons de Stuart Kirk ont réagi rapidement lorsqu’une partie de la presse et les réseaux sociaux se sont déchaînés sur le discours de leur responsable de l’investissement responsable.
En amont de son discours, ils avaient pourtant bien validé le support de présentation de Kirk. Ils devaient donc bien avoir une certaine idée de l’orientation de celui-ci… Son titre après tout était “Why investors need not worry about climate risk”. Mais devant le tollé que ses propos ont déclenché, ils l’ont suspendu de ses fonctions.
Nicolas Moreau, le Français à la tête de la division de gestion d’actifs de la banque, Céline Herweijer, directrice du développement durable et enfin Noel Quinn, le PDG de la banque, ont fait des déclarations successives pour se distancer des remarques de leur collègue, sans doute par conviction personnelle. Mais il est possible que deux autres facteurs aient joué sur la réaction du management.
Gérer le risque de réputation
Premièrement, la gestion de l’image de la banque. Le sujet du réchauffement climatique est clivant. Des climato-sceptiques, à ceux qui prônent la décroissance au nom de la protection de la planète, les opinions sont diamétralement opposées. Il mène donc rapidement à des échanges houleux.
Dans ce contexte, certains estiment que Kirk est allé trop loin dans ses remarques. Qui pourraient être mal interprétées et donc nuire à la réputation d’HSBC, qui se positionne — comme la quasi totalité de ses consoeurs — comme étant engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’ESG et la finance verte : une poule aux œufs d’or ?
Deuxièmement, en finance, et notamment dans le secteur de la gestion d’actifs, il est sans doute de plus en plus difficile de critiquer publiquement le secteur ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
C’est le sujet à la mode, et le secteur qui connaît le taux de croissance le plus élevé dans la gestion d’actifs. Selon Morningstar, il y avait 2770 milliards de dollars dédiés à l’investissement responsable à la fin du premier trimestre de cette année, contre “seulement” 1000 milliards à la fin de 2019.
Dit autrement, il faut s’afficher comme étant engagé dans la domaine, ou risquer de passer à côté de revenus potentiels importants.
Simple provocation ou initiateur d’un débat utile ?
Mais un grand nombre de professionnels de la finance, reconnaissent à minima que l’intervention de Kirk a permis d’ouvrir le débat sur un sujet parfois frustrant. Au moins à deux titres.
Le risque de manipulation des données
On peut à la fois militer pour une cause, ou au moins en reconnaître l’utilité, tout en questionnant les analyses et les chiffres qui la soutiennent. Dans le cas présent, on peut parfaitement juger qu’il est crucial de lutter contre le réchauffement climatique, tout en pointant du doigt des incohérences ou des biais possibles dans la modélisation de ce risque, afin d’obtenir des résultats plus marquants.
Le greenwashing
Kirk (et d’autres) permettent également de souligner les incohérences existantes dans le domaine de l’investissement responsable. Il existe de nombreuses approches analytiques différentes en la matière. Les labels “verts” se sont multipliés. Et la forte hausse du nombre d’acteurs qui souhaitent s’associer à la cause environnementale fait craindre qu’une proportion non négligeable d’entre eux le fasse, sans véritablement changer dans la pratique.
L’opinion de Cashbee
Nous pensons que Stuart Kirk a eu le courage de dire tout haut ce qu’un certain nombre de professionnels de l’investissement pensent tout bas. Et qu’il est bon de laisser la place à un débat rationnel sur un sujet aussi important.
Mais nous ne sommes pas pour autant dans son camp. À notre humble avis, Kirk a une perspective trop froidement financière sur le sujet. Il a peut-être raison lorsqu’il dit que l’humain s’en sortira toujours.
Mais nous soumettons deux contre-arguments à cette thèse :
Premièrement, sur le plan purement financier. Il nous semble que le risque de faire confiance à l’histoire et à la capacité humaine de s’adapter est trop grand. Car nous ne connaissons pas précisément les conséquences du réchauffement climatique. Il n’y a pas de parallèle avec le passé, et il est donc impossible pour Kirk, comme pour n’importe qui d’autre, d’estimer que les risques financiers sont aussi modestes qu’il le prétend.
Deuxièmement, d’un point de vue sociétal. S’adapter au réchauffement climatique sans activement le combattre pourrait être une stratégie financièrement optimale. Mais elle serait socialement et humainement désastreuse. Pour utiliser l’illustration provocante de Stuart Kirk, les villes de Miami et d’Amsterdam pourront peut-être trouver des solutions pour survivre, voire même prospérer, malgré la montée du niveau de la mer. Mais quid de villes moins riches comme Jakarta, Dar Es Salaam, Dhaka et Mumbai ?
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