Il y a quelques mois, les principaux risques économiques identifiés sur 2020 étaient la guerre commerciale Sino-Américaine, le “Hard Brexit” et les tensions géopolitiques au Moyen-Orient. Ces inquiétudes nous semblent aujourd’hui presque futiles.
Nous traversons une crise financière comparable à celle de 1929, provoquée par l’une des plus importantes pandémies de l’histoire. Rien que ça.
L’économie mondiale en souffre, et va probablement en souffrir pour de longues années. Le président de l’ONU Antonio Guterres a fait état de “la plus grave crise mondiale depuis la seconde guerre mondiale”, et c’est aussi l’avis d’un nombre croissant d’économistes de renom — dont les plus pessimistes redoutent un recul à deux chiffres du PIB de certains pays (dont les US) sur les 12 prochains mois.
Peu d’entre nous étions vivants en 1929, c’est pourquoi un petit rafraîchissement s’impose.
Le “jeudi noir” du 24 octobre 1929 a été le déclencheur d’une période connue sous le nom de Grande Dépression. Dans les 3 ans qui ont suivi le krach, Wall Street a perdu plus de 70% de sa valeur, et près d’un quart de la population américaine s’est retrouvée au chômage. Ce qu’il y a de terrible dans la “Grande Dépression”, c’est qu’il a fallu 25 ans aux marchés américains pour revenir à leur niveau d’avant. Finalement, seule la seconde guerre mondiale a permis à l’économie américaine de sortir du marasme... À titre de comparaison, l’indice boursier S&P500 n’a mis que trois ans à se remettre de la crise des subprimes en 2008.
Pour vous donner maintenant un ordre d’idée de ce qui se passe en ce moment, entre le 20 février et le 20 mars 2020, ce même S&P 500 a perdu 32% de sa valeur. Le CAC 40 a décroché de 36%, le FTSE 100 a reculé de 30%, le prix du baril de pétrole a fondu de moitié. En trois petites semaines, des milliers de milliards de dollars se sont évaporés dans ce qui restera le krach le plus rapide de l’histoire. Les marchés ont depuis un peu remonté, suite aux mesures de secours sans précédent annoncées par la plupart des banques centrales et gouvernements concernés. Mais il demeure que l’économie mondiale est sévèrement meurtrie.
Alors pourquoi cette crise pourrait-elle durer et ressembler à une nouvelle Grande Dépression ? Pour plusieurs raisons dont une principale : nous sommes à l’arrêt, et pour une durée indéterminée. Si l’épidémie nous oblige à une interruption de 3 mois — ce qui ressemble de plus en plus à un scénario minimum — des entreprises vont fermer, des millions de personnes vont se retrouver au chômage, ce qui aura pour effet de faire baisser la consommation, et impactera donc l’économie au sens large. Nous rentrerions alors dans une spirale négative : moins d’emploi = moins de pouvoir d’achat = moins de consommation = moins d’activité économique = moins d’emploi...Trois mois de pause peuvent mettre des années à cicatriser.
Les gouvernements et banques centrales du monde entier ont déjà déployé un arsenal monétaire sans précédent pour empêcher ce phénomène. Plusieurs trilliards de dollars ont été injectés dans l’économie afin de protéger l’activité des industries, de préserver des emplois, de soutenir la consommation des ménages, et de fluidifier le commerce international. Mais rien ne permet aujourd’hui de savoir si cela suffira. Ces mesures n’ont pas empêché 6 millions de personnes de faire fondre les serveurs du pôle emploi américain la semaine dernière.
L’objet de cet article est de penser à ce que cette crise, actuelle et future, peut avoir comme effet sur notre rapport à l’argent. Nous sommes aujourd’hui physiquement assignés à résidence, forcés de réinventer notre vie sociale, notre manière de consommer et de travailler — pour ceux qui ont pu se mettre au télétravail. Demain, les blessures de la crise modifieront sans doute plus profondément encore notre manière d’approcher le business, la politique… et l’argent.
La mort du cash ?
Peu avant le confinement, les banques Françaises, Italiennes et encore plus Allemandes ont enregistré des retraits d’espèces records. Un peu comme pour les rouleaux de papier toilette ou les paquets de pâtes, les populations ont soudain eu besoin de serrer leurs économies fort contre soi. C’est un scénario classique en période de crise : ça rassure.
Ce qui est paradoxal, c’est que le cash ne sert presque à rien dans un monde où personne ne peut sortir de chez soi. Avec la mise à l’arrêt des commerces de proximité, des bars et des restaurants, les billets de banque et les pièces vont beaucoup moins circuler.
Il est possible qu’au lendemain d’une période de confinement dans laquelle tout (ou presque) se règlera “sans contact”, nous ayons simplement perdu l’habitude d’utiliser du liquide. Même pour l'argent de poche des enfants, les banques pour adolescents souhaitent réduire le recours au cash. D’autant plus quand on sait que les billets sont des nids à microbes.
Au Royaume Uni, le plafond des paiements sans contact a par exemple été relevé de £30 à £40 pour minimiser la circulation des espèces et éviter que les claviers des terminaux de paiement ne deviennent les nouvelles plaques tournantes du Covid-19.
En parallèle, les ventes en ligne explosent, à tel point que certains distributeurs imposent des limites d’achat pour permettre à leurs chaînes logistiques de tenir le coup (sans exposer la santé de leur staff au passage).
Aux États-Unis, l’helicopter money pourrait être acheminée aux ménages par le biais d’un portefeuille virtuel. Alors que les banques et le gouvernement Suédois visent le 100% cashless en 2023. Bref, il se passe quelque chose.
Crypto décrochage
En tant que classe d’actif décorrélée de l’économie réelle, on aurait pu penser que les cryptos allaient devenir une valeur refuge quand le reste du monde perdrait pied — le bitcoin avait après tout connu son record historique en 2017 lors d'une période relativement anxiogène (débuts du Brexit, escalade sur le nucléaire Nord-Coréen, tensions commerciales sino-américaine...).
Ce n’est pas, mais alors, pas du tout ce qui s’est passé.
Le Bitcoin, et la quasi totalité des crypto-monnaies à sa suite ont perdu entre 25 et 40% en même temps que le Dow Jones. Même l’or, valeur refuge par excellence, a tremblé ! Incroyable.
Ça n’est en fait pas si surprenant que ça. En période de crise sévère, les investisseurs et épargnants de tous bords s’affairent à minimiser leur exposition au risque (et par extension, leurs pertes). Les cryptos étant une classe d’actif particulièrement spéculative, les wallets digitaux se sont naturellement vidés.
Ce soudain retour à la réalité va néanmoins rester dans l’histoire comme la preuve que même les monnaies digitales (sans sous-jacent réel) ne sont pas exemptes des lois de “la vraie vie”.
L’épargne disponible plus importante que jamais
Vous vous souvenez du bas de laine de vos grands parents ? Il est probable qu’après le choc économique que nous allons vivre, nous serons nous aussi très (trop) enclins à faire des économies, au point que cela devienne un peu ridicule.
Nous anticipons — comme lors de toutes les crises — une forte augmentation de l’épargne dite de précaution. D’une part parce que le confinement nous empêche de consommer; et d’autre part car il stimule chez nous la peur du lendemain. Le Livret A qui défrayait déjà la chronique avec une série de records en 2019 devrait enregistrer une collecte encore plus haute au second trimestre, et ce malgré la baisse de son taux (0,5%) en février. Nous mêmes chez Cashbee (application d’épargne) avons plutôt constaté une hausse des dépôts depuis le début de l’année.
Il est probable qu’en parallèle, le marché de l’immobilier (pourtant cher au cœur des Français) accuse une nette décélération. Pour reprendre un de nos articles précédents : quand on ne sait pas de quoi demain est fait, ce n’est pas parce que ça coûte moins cher d’emprunter que vous allez acheter une voiture ou refaire votre cuisine.
L’accès universel à certains biens ?
Face à l’urgence sanitaire, tous les États n’ont pas la même ligne de conduite. Les plus libéraux (anglo saxons, pour ne pas les nommer) se rendent en ce moment compte des failles que présente un système de santé où la consultation coûte 1000 dollars : les malades serrent les dents plutôt que d’aller à l'hôpital.
Il est probable qu’en temps venu, le bilan de telles politiques incite les gouvernements à généraliser l’accès aux soins. C’est un droit acquis en Europe depuis de nombreuses années, mais qui se renforcera probablement même chez nous, en ouvrant la voie, qui sait, à un accès garanti aux ressources de première nécessité. Lors de sa première allocution mi-mars, Emmanuel Macron a dit vouloir “repenser le modèle”. Du côté de l'Espagne, la mise en place d'un revenu universel est très sérieusement envisagée, qui plus est durablement !
Vers une consommation plus apaisée, locale et responsable ?
On se rend déjà compte, avec la diminution vertigineuse de la pollution en Chine, ou avec le retour d’animaux sauvages dans certaines régions d’Italie, que la mise en pause de notre économie fait du bien… à la planète. Et ce ralentissement intervient à un moment où l’écologie est sur toutes les lèvres, notamment celles des plus jeunes. Ces générations, déjà très engagées avant la crise sanitaire se feront sans doute encore entendre après que la preuve aura été faite que oui, réduire la voilure peut avoir des effets positifs sur l’environnement. À titre d’exemple, il est estimé que la baisse de la pollution en Chine pendant la quarantaine évitera plus de 60 000 décès liés aux complications respiratoires qu’elle provoque habituellement chaque année.
Il est aussi probable que le souffle de solidarité qui traverse aujourd’hui les régions touchées par le Covid-19 donnera un nouvel élan au commerce local, et privilégiera ce faisant les circuits courts. Certaines industries, très touchées par l’arrêt du commerce international auront peut-être aussi à cœur de re-localiser la production de leurs entreprises, pour être moins dépendantes du transport international.
Enfin, la peur du lendemain nous invitera peut-être à dépenser moins, à privilégier les produits durables ou au contraire à acheter moins de neuf… pour louer par exemple, ou acheter d’avantage d’occasion ? Nous serons aussi probablement épris d’une volonté croissante de “voter avec notre portefeuille”, en orientant nos dépenses vers les produits des entreprises exemplaires en période de crise.
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Finalement, au-delà de notre rapport à l’argent, c’est notre rapport au temps et à notre modèle de consommation qui sortira modifié de cette expérience Covid-19. Rapport au temps tout d’abord, parce que la maladie et la mort ont refait brutalement irruption dans nos préoccupations, entraînant, même pour les moins philosophes d’entre nous, une réflexion sur ce qui est important dans nos vies. Rapport à la consommation ensuite car ce recentrage sur le sens induira aussi un usage un peu différent de ce que nous faisons de notre argent.
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