Nous sommes à quelques jours du second tour. Difficile de ne pas parler des élections présidentielles. Mais abordons le sujet d’un point de vue financier. Car les marchés financiers nous donnent (déjà !) une interprétation de ce face à face politique. Il suffit de regarder les niveaux de taux d’intérêt.
L’écart de taux entre la France et l’Allemagne
Ce que le taux d’intérêt dit de l’emprunteur
Lorsqu’une personne obtient un crédit immobilier d’une banque, le taux d’intérêt qu’il ou elle doit payer découle de l’analyse que la banque fait de sa solvabilité. Plus simplement, la banque essaie de savoir si l’emprunteur paiera ses mensualités à temps et remboursera l’emprunt à l’échéance. Moins la banque estime que l’emprunteur est fiable, plus elle imposera des taux d’intérêts élevés.
De cette logique découle le vieil adage, “les banques ne prêtent qu’aux riches”. Car elles préfèrent en effet prêter à ceux qui ont le plus de chances de rembourser leurs dettes.
Les facteurs de risque que les banques (et autres prêteurs) prennent en compte dans leurs analyses comprennent notamment les revenus de l’emprunteur, la stabilité de ses revenus, son âge, son état de santé et son niveau d’endettement existant.
Et ce qui est vrai pour un emprunteur particulier l’est aussi pour les sociétés... et pour les États !
Il suffit donc de comparer les taux d’intérêts auxquels empruntent deux pays, pour déterminer lequel des deux est perçu comme le plus fiable.
L’Allemagne est la référence en Europe
Il existe une référence pour chaque devise, par rapport à laquelle les autres emprunteurs se mesurent. Les dettes en US Dollar se comparent à celle des États-Unis. Celles libellées en Euros s’évaluent par rapport aux obligations allemandes — aussi appelés Bunds.
Pour déterminer le taux d’emprunt d’un pays, les financiers vont parler en termes d’écart par rapport à l’obligation allemande de la même échéance. Par exemple, si Total ou EDF émettent de la dette à 10 ans, le taux de l’emprunt se déterminera par rapport au taux d’intérêt du Bund à 10 ans. Ainsi, un emprunteur qui s’endette à “Bund + 1%” va devoir payer 0,84% (le taux d’intérêt actuel sur le Bund à 10 ans) + 1,00%, soit 1,84%.
Le différentiel France-Allemagne s’est accru depuis le début de l’année
Observons maintenant la différence de taux entre l’Allemagne et la France, et son évolution dans le temps.
Au début de l’année, le rendement offert par le Bund à 10 ans était de -0,12% au début de l’année. Celui de la France était de 0,23% au même moment. Soit un écart (aussi appelé “spread”) de 0,35%.
Juste avant le weekend de Pâques, les deux taux ont beaucoup augmenté, et atteignent respectivement 0,84% pour l’Allemagne et 1,34% pour la France. Le spread est passé de 0,35% à 0,50% en quelques mois.
Les marchés n’aiment pas l’incertitude
Comment analyser cette information ?
Premièrement, dans le calme. Malgré l’élargissement du spread par rapport à l’Allemagne, la France continue de payer ses emprunts à peine plus chers que Berlin, et à des tarifs bien meilleurs que ceux de l’Italie ou de l’Espagne par exemple. Autrement dit, la signature de la France reste très appréciée des investisseurs internationaux.
Mais il est indéniable que depuis le début de l’année, ces mêmes investisseurs sont devenus un peu plus méfiants vis-à-vis de la France. Et les élections présidentielles y sont sans doute pour beaucoup.
Des élections à l’issue incertaine
Dans le cas présent, il se trouve que les sondages donnent Emmanuel Macron gagnant, mais de peu, voire de très peu. En 2017, les choses étaient plutôt claires. Emmanuel Macron l’avait d’ailleurs emporté avec deux tiers des voix. Aujourd’hui l’écart entre les deux finalistes est bien plus serré, avec un score qui se situerait autour de 53% à l’avantage du président sortant. Cette courte tête n’est pas suffisante pour détendre les investisseurs.
Où va la France de demain ?
Au-delà de l’incertitude quant au résultat, ce sont les programmes des deux candidats qui inquiètent les marchés.
Commençons par l'arrivée au pouvoir possible de Marine Le Pen. Elle aurait des conséquences pour l’Europe. Les investisseurs craignent par exemple qu’une fois au pouvoir, Mme Le Pen décide de désengager la France de l’Europe, en réduisant les contributions de la France à l’Union Européenne, voire en décidant de sortir de l’OTAN. La France étant un des plus grandes économies européennes, ces décisions déstabiliseraient le continent tout entier.
Sur le plan économique, Mme Le Pen souhaite instaurer la retraite à 60 ans. De nombreux investisseurs s’interrogent sur le financement d’un tel système de retraites, dans un contexte où le nombre d’actifs par rapport aux nombre de retraités ne cesse de baisser. Ils craignent que cela conduise à une forte augmentation de l’endettement du pays.
Certains aspects du programme du président Macron sont également de nature à rendre les grands investisseurs institutionnels nerveux. Contraint d’aller chercher des voix à gauche et notamment auprès de ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon, il s’est engagé sur un certain nombre de thèmes sociaux, potentiellement coûteux économiquement. Ainsi il propose de limiter les salaires des dirigeants d’entreprises et affiche sa volonté d’ouvrir le débat sur l’âge de la retraite.
Les taux d’intérêt sont plus qu’un indicateur politico-économique
L’écart de taux entre la France et l’Allemagne est intéressant à suivre en période électorale. Sa contraction ou son élargissement au lendemain des élections constituera un bon indicateur - parmi d’autres bien sûr - pour savoir si l’heureux ou l’heureuse élu(e) est apprécié(e) ou non par la communauté financière internationale.
Mais n’oublions pas que cela va un peu plus loin qu’une simple observation intéressante. Car l’écart de taux par rapport à l’Allemagne représente le surcoût que la France paie sur sa dette nationale. En cas d’élargissement dans la durée, cela se traduirait tout simplement par un coût de la dette plus élevé.
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