Penser la finance durablement
Nous sommes de plus en plus nombreux à faire nos achats selon des critères responsables. Au supermarché, les produits bio foisonnent et nous savons, à peu près, ce que ce label signifie : fabrication sans recours aux produits chimiques, sans OGM et avec respect du bien-être animal. Nous achetons des voitures électriques parce qu’elles ne consomment pas de pétrole (si on ignore le carburant qui a peut-être été nécessaire pour les fabriquer). Les produits Commerce Équitable ou Made in France sont aussi à la mode. Les fabricants de produits d’épargne l’ont compris depuis des années. Les placements verts, durables, socialement responsables, labellisés ESG (pour “Environnement, Social, Gouvernance”) sont en très forte croissance.
Un besoin urgent d’harmonisation
ISR, ESG, PRI, ... trop de labels “verts” ?
Mais lorsque que nous “consommons” des produits financiers - c’est-à-dire lorsque nous épargnons - il est complexe de distinguer un fonds labellisé “Investissement Socialement Responsable” (ISR), tel que défini par le Ministère de l’Économie et des Finances en 2016, d’un investissement qui suit les Principes pour l’Investissement Responsable (ou PRI), rédigés par les Nations Unies en 2006, d’un placement portant l’étiquette ESG, pour Environnement, Social & Gouvernance. Bref, difficile de détecter la forêt à travers les arbres, tellement il existe d’alternatives.
Différentes écoles de pensée “vertes” s’affrontent : exclure ou sélectionner ?
Et cette soupe à l’alphabet est rendue encore plus complexe par le fait qu’en absence de règles homogènes, l’approche éco-responsable de l’un peut être fortement critiquée par l’autre. Certains gérants estiment que pour être durables, leurs placements doivent rester à l’écart des industries les plus polluantes, comme l’industrie pétrolière, du textile ou encore du ciment. D’autres, au contraire, argumentent qu’il faut investir dans chaque secteur économique, y compris les plus polluants, en sélectionnant les acteurs les plus engagés dans la transition énergétique. En investissant par exemple dans la société pétrolière Total, qui ambitionne de devenir “la major de l’énergie responsable” plutôt qu’Exxon. Cette stratégie alternative aurait un impact en termes de réduction de CO2 bien plus important, puisqu’on aide des sociétés “qui partent de loin” à réduire leurs volumes d’émission de gaz à effet de serre.
L’absence de données extra-financières (homogènes)
L’analyse de la durabilité de différents types d’investissement est rendue encore un peu plus opaque par l’insuffisance de données extra-financières et/ou le manque d’homogénéité entre elles. En effet, les données financières d’une société donnée sont assez faciles à étudier, grâce notamment aux bilans comptables et comptes de résultats qu'elles publient. En revanche, les informations extra-financières des sociétés varient grandement, en quantité et en qualité.
Or, il est de plus en plus reconnu que :
- les pratiques sociales de l’entreprise : diversité du personnel, politique salariale, formation, le travail des enfants, …
- sa politique environnementale : la neutralité carbone est-elle visée ou pas, et si oui, à quel horizon, mesure et publication du volume de CO2 émis, rapports avec les fournisseurs sur le sujet, ...
- et sa gouvernance : équité des droits des actionnaires, diversité et indépendance des membres du Conseil de Surveillance, séparation des rôles entre Président et Directeur Général, ...
sont des données pertinentes pour tous les investisseurs potentiels, qui leur permettent de mieux évaluer les perspectives stratégiques de l’entreprise en question. Dit autrement, bien connaître et comprendre la stratégie ESG des entreprises rentre en considération pour tout investisseur rationnel, cherchant à identifier les sociétés qui seront les leaders de demain. Ou, à l’inverse, d’identifier les acteurs qui s’exposent à des risques ESG importants, parce qu’ils n’accordent pas ou pas assez d’importance à ces facteurs extra-financiers.
L’auto-certification facilite le Greenwashing
Enfin, l’auto-certification et le risque de greenwashing qu’il facilite, renforce le besoin urgent d’harmonisation des règles gouvernant l’investissement durable. En effet, en absence de conformité entre les différents labels et manquant de données, certains gérants s’auto-certifient “verts” ou “responsables” dans leur démarches.
Cela est d’autant plus tentant que la demande pour ce type de placement est en hausse constante, de plus en plus d'épargnants individuels souhaitant donner un sens à leur épargne.
En déclarant leurs produits durables, ces gérants contribuent ainsi au phénomène de greenwashing. Cette pratique consiste à communiquer auprès du grand public de son positionnement écologique, afin de se donner une image éco-responsable et d’attirer ainsi l'argent des épargnants. Sans pour autant avoir véritablement modifié ses méthodes de gestion pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilée à de la publicité mensongère. Mais elle est aujourd’hui difficile à détecter dans le monde de la gestion de l’épargne.
Le Pacte Vert de l’Union Européenne
L’investissement responsable, et son homogénéisation, sont une nécessité politique
Dans son “Pacte Vert”, l’Union Européenne “vise à faire de l’Europe le premier continent du monde neutre en carbone, notamment en développant des sources d'énergie propres et des technologies vertes”. En parallèle de l’investissement en technologies vertes, la finance durable a été identifiée comme un des axes principaux pour y parvenir. C’est pourquoi l’UE a conçu la réglementation SFDR (pour Sustainable Finance Disclosure Regulation) dans son plan d'action.
La SFDR impose la transparence sur la durabilité des produits financiers
Cette réglementation requiert que les fonds d’investissement fournissent des informations précises et homogènes sur les risques ESG inclus dans leurs portefeuilles. Ainsi, cela permettra de comparer les différents supports d’investissement entre eux, sur la base de critères de responsabilité sociale uniformes.
L’objectif affiché des gouvernants européens est d’ainsi faciliter et stimuler l’investissement responsable, en exposant publiquement les investissements faussement “verts”. Pour les fonds à impact social, il va falloir apporter les preuves tangibles de l’impact en termes de création d’emploi et d’équité sociale par exemple. Il n’y a pas de doutes que certains fonds auto-déclarés éco-responsables devront revoir leur copie et leurs politiques de gestion.
La réglementation va même plus loin, dans la mesure où ces obligations de partage d’information s’appliqueront à la totalité des fonds et pas uniquement aux fonds déjà labellisés. Dit autrement, les fonds traditionnels qui n’ont pas affiché d'ambitions en termes de critères ESG devront, eux aussi, présenter les risques de cette nature inclus dans leurs placements et expliquer pourquoi ils ne les prennent pas en compte, si c’est le cas.
Le 10 mars 2021 : première échéance SFDR
La réglementation impose que l’ensemble des contrats des produits financiers couverts par les textes expliquent si, et comment, le risque de durabilité est pris en compte par les gérants dans leurs méthodes de gestion à partir du 10 mars prochain. Les fonds qui se définissent comme étant “responsables” devront préciser les objectifs d’investissement en termes ESG, et produire des mises-à-jour régulières sur l’atteinte de ces objectifs.
Des difficultés de mise en oeuvre compréhensibles
Les gérants d’actifs a obtenu un délai supplémentaire pour fournir les informations ESG demandées, notamment parce que - comme évoqué ci-dessus - bon nombre des ces données ne sont pas (encore) publiées par les sociétés dans lesquelles les gestionnaires souhaitent investir.
Mais les investisseurs institutionnels vont sans doute augmenter la pression sur ces entreprises pour qu’elles améliorent la quantité et la qualité des informations extra-financières qu’elles partagent. Contribuant donc ainsi à l’amélioration et la standardisation dans le domaine.
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