Les marchés ont traversé une semaine agitée à cause d’un phénomène presque oublié depuis le début du siècle dans les économies développées : l’inflation. Pourquoi réapparait-elle soudain ? Faut-il s’inquiéter ?
Les mesures de relance stimulent la hausse des prix
Petit rappel
Une recherche sur Google nous apprend que “l'inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.” Elle se calcule en comparant les prix d’un ensemble de biens de consommation — le fameux “panier de la ménagère” — à deux dates différentes. Si le coût total du panier a augmenté, alors on parle d’inflation des prix. Celle-ci s’exprime typiquement en pourcentage. Si le taux d’inflation atteint 2% par exemple, alors il vous faudra 102 euros pour acheter des biens qui ne vous auraient coûté que 100 euros auparavant.
Un retour inattendu
Depuis presque vingt ans, on ne nous a parlé du taux d’inflation que pour dire à quel point il était bas. Dans les pays les plus développés, il est resté largement en dessous des 2%, le niveau que la plupart des banques centrales considèrent comme idéal.
Mais l’inflation se rappelle à notre bon souvenir. C’est le cas notamment aux États-Unis, où les prix à la consommation ont augmenté de 4,2% dans les 12 derniers mois. Soit la hausse la plus élevée depuis 1982 !
Pour expliquer ce retour fracassant, pas besoin de chercher bien loin. Les programmes de relance massifs, adoptés dans l’ensemble des pays du G7 et au-delà, ont inondé l’économie mondiale de liquidités. Si elles sont indispensables pour soutenir l’économie en période de crise, ces mêmes mesures provoquent par ricochet l’augmentation des prix que nous commençons à observer.
Décrivons ce processus en quelques étapes.
- Durant la crise sanitaire, certains secteurs, comme le tourisme, la culture et la restauration sont tout simplement à l’arrêt. Dans la plupart des autres secteurs, les entreprises réduisent la voilure : elles produisent et investissent moins. Du côté des consommateurs, l’impossibilité de vivre une vie “normale” les pousse à épargner davantage (peur du lendemain, commerces fermés…). La demande est faible, et il n’y a donc aucune pression sur les prix des biens. On vit une période d’inflation quasi-nulle.
- Pendant que le corps médical combat le virus, les gouvernements et les banques centrales luttent contre la crise économique qui guette. Ils accordent des aides financières inédites, aux entreprises comme aux particuliers. Aux États-Unis, le gouvernement va jusqu’à distribuer des chèques de 1 400 dollars aux populations, pour soutenir le pouvoir d’achat.
- La vaccination commence à faire ses preuves et l’immunité collective permet progressivement de dé-confiner les populations. Ce phénomène provoque une envie soudaine de relancer la production chez les entreprises, et de consommer chez les particuliers. Rappelez-vous : nous avons accumulé beaucoup d’épargne pendant la crise, l’envie de se faire plaisir est forte.
- Pour servir cette reprise d’activité, les entreprises ont les mêmes besoins au même moment : elles doivent commander des matières premières (métal, cuivre, mais aussi microprocesseurs, batteries...), recruter du personnel, transporter et livrer leurs marchandises… Or selon la loi de l’offre et de la demande, si tout le monde a besoin des mêmes ressources en même temps, le prix de ces dernières ne peut qu’augmenter. On rentre dans une période d’inflation.
Les premiers signes inflationnistes tangibles
Un chiffre choc
L’inflation était donc prévisible. Mais la hausse de 4,2% des prix à la consommation, publiée par l’agence statistique américaine, a surpris par son ampleur. Les analystes avaient tablé sur un niveau de 3,6%, déjà très au-dessus des 2% visés par la plupart des banques centrales.
Explications et secteurs concernés
Les prix des matières premières sont les premiers à avoir bondi. On peut souligner l’augmentation du prix du cuivre, qui a doublé en un an. Très utilisé dans l’informatique, les énergies renouvelables et l’industrie automobile (électrique notamment), la demande pour ce métal a naturellement explosé.
Mais les prix du zinc, du fer ou encore du pétrole suivent une pente similaire.
La relance de la production aux US a également fait bondir les importations de pièces détachées produites en Chine, en hausse de 40% au 1er trimestre. Sans surprise, le coût du transport maritime a fortement augmenté. Un container en provenance de Chine coûte aujourd’hui trois fois plus cher à acheminer aux États-Unis qu’il y a un an.
Cette pression soudaine sur certains produits a des effets secondaires impressionnants. Prenons les semi-conducteurs par exemple. Les produits électroménagers et les voitures en sont truffés. Et puisqu’il devient de plus en plus difficile de s’en procurer, les constructeurs ne peuvent pas produire autant que nécessaire — Nissan estime qu’il a du renoncer à la livraison d’un demi-million de voitures par manque de semi-conducteurs. Résultat : faute de voitures neuves, les prix des voitures d’occasion ont grimpé de plus de 10% en avril aux États-Unis.
Le marché de l’emploi n’est pas épargné. Et la main-d'œuvre est de plus en plus difficile à trouver. Ainsi, McDonalds a annoncé une hausse des salaires minimum versés aux employés, pour en attirer de nouveaux, mais aussi conserver les actuels.
Dernière statistique illustrative, les analystes de Bank of America ont noté que les références à l’inflation ont augmenté de 800% dans les rapports de résultats trimestriels des grandes sociétés cotées. Autrefois un lointain souvenir, l’inflation fait maintenant partie des principales préoccupations des grandes entreprises.
Là pour rester ?
Le discours officiel de la FED, la banque centrale américaine, est que cette hausse des prix n’est que transitoire. Et il faut l’espérer. Car l’inflation n’est véritablement dangereuse que sur le long terme.
Le scénario bénin : une inflation temporaire
Dans le scénario mis en avant par les banques centrales, la hausse des prix que nous observons aujourd’hui ne serait que passagère. Pendant quelques mois, de nombreuses sociétés font les mêmes commandes, de bois, de métal, de cuivre, etc. Tout le monde cherche à se faire livrer en même temps, ce qui augmente le coût du transport et soutient le prix du pétrole. Mais une fois ce pic de demande passé, la tension sur les prix devrait se stabiliser. Et les banques centrales pourraient continuer à stimuler la relance économique en gardant les taux directeurs très bas.
Pas de changement de paradigme donc, simplement un petit sursaut ? Le problème est qu’un nombre croissant d’experts commencent à en douter.
Le scénario alternatif : l’inflation est de retour, et pour un bon moment !
Vu l’ampleur de la hausse des prix à la consommation (largement supérieure aux anticipations) nous devons nous pencher sur l’hypothèse d’une inflation durable dans le temps. Dans ce scénario, les entreprises se livrent une course sans merci et enchérissent sur des matières premières à des prix de plus en plus élevés. À court de main-d'œuvre, elles doivent aussi augmenter les salaires pour garder les employés en place et en attirer de nouveaux.
Sous cette double pression, elles sont obligées d’augmenter à leur tour les prix des produits qu’elles fabriquent pour protéger leurs marges. Le coût du panier de notre ménagère augmente alors significativement.
Vous me direz : oui mais puisque le salaire de la ménagère a lui aussi augmenté, tout va bien, non ? Pas tout à fait, et voici pourquoi.
Des conséquences majeures pour les épargnants
Si un tel scénario se profile, les banques centrales devront combattre un début de spirale inflationniste — cercle vicieux dans lequel la hausse des prix génère une hausse des salaires, et vice-versa, et ainsi de suite. Elles le feront en déployant leur arme principale : les taux d’intérêts. Il y a fort à parier que les crédits coûteront alors plus cher, ce qui aura pour effet de freiner l’augmentation des prix, mais qui freinera potentiellement aussi la croissance économique et ne fera rien de très bon pour le climat social du pays.
Une baisse simultanée des actions et des obligations ?
Depuis des années, les investisseurs se sont habitués à des taux d’intérêt en baisse, historiquement faibles.
Source : Financial Times
Ce contexte était naturellement favorable aux prix des obligations, dont les cours fluctuent inversement à celui des taux. Il était aussi très favorable aux entreprises, qui pouvaient emprunter à des coûts réduits, investir, et ainsi faire grimper leur cours de bourse.
Mais si les banques centrales augmentent leurs taux directeurs, les taux d’intérêts suivront, et ces décennies d’argent “facile” prendront fin. Le prix des obligations baissera. Et les entreprises diminueront naturellement le volume de leurs investissements — ce qui se reflètera tôt ou tard sur le cours de leurs actions. Ce double effet kiss cool provoquera une baisse notable du rendement des portefeuilles de l’épargnant moyen.
Mohamed El-Erian, conseiller économique chez Allianz et ancien directeur des investissements chez Pimco, ne mâche pas ses mots “les dernières années furent fantastiques pour les investisseurs, car tout montait. Vous gagniez sur vos obligations et sur vos actions. Maintenant, vous risquez de perdre des deux côtés. C’est un environnement horrible.”
Comment se protéger contre l’inflation ?
Premièrement, rappelons-nous que le scénario d’une spirale inflationniste est encore très incertain, et que toutes les statistiques partagées ci-dessus concernent les États-Unis. Il est néanmoins prudent de se préparer à un environnement d’investissement plus complexe que nous n’avions pas observé depuis longtemps.
Dans le passé, les investisseurs qui souhaitent se protéger contre l’inflation se sont tournés vers quatre types de placements :
- Les investissements en matières premières et en or. Soit directement (mais pas facile pour un épargnant individuel d’acheter du pétrole ou du cuivre), soit en achetant les actions des sociétés minières ;
- Les obligations dont la rémunération est indexée sur l’inflation. Ces obligations protègent contre l’inflation par construction, puisque les intérêts versés sur ces titres fluctuent en fonction du taux d’inflation ;
- Les placements en pierre-papier peuvent s’avérer judicieux dans un contexte inflationniste, dans la mesure où les loyers perçus sur des actifs immobiliers (bureaux, commerces etc.) sont typiquement indexés sur l’inflation ;
- Les actions des banques de détail. Ces dernières ont souffert dans un contexte de taux bas. Difficile de gagner de l’argent quand on prête à des taux proches de zéro. Mais dans un environnement de taux plus hauts, elles pourraient prêter leurs liquidités (abondantes) à des niveaux de taux d’intérêt plus élevés, leur permettant de réaliser des profits plus importants.
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