Depuis son invention en 2004 et une mise en route assez lente, l’Investissement Socialement Responsable est soudainement devenu un phénomène hype dans l’univers de la finance. Un cinquième des entreprises cotées en bourse se réclament maintenant ISR (ou son équivalent anglo-saxon ESG — pour Environment, Social, Governance).
Véritable engagement ou opportunisme hypocrite ?
Le discours écologique de façade
Le terme de greenwashing se traduit littéralement par “lavage en vert”. Il désigne les pratiques douteuses de certains dirigeants d’entreprises, qui se réclament écologiquement et/ou socialement responsables, sans changer leurs méthodes de gestion. Pour ces derniers, il ne s’agit pas de véritablement s’engager pour un avenir plus soutenable, il s’agit simplement de profiter de l’effet de mode autour des entreprises dites vertes. Leur objectif est double.
Plaire au consommateurs… et aux investisseurs
Premièrement, plaire aux consommateurs, dont une proportion croissante se soucie des processus de fabrication et plus largement des engagements des marques qu’ils consomment. Nous souhaitons par exemple nous assurer que les produits que nous achetons ont été fabriqués dans des conditions décentes, consomment le moins d’énergies fossiles possible et qu’ils sont (ou ont été fabriqués à partir de matières) recyclables.
Dans certains cas, la mise en avant de ces arguments prend une place considérable dans la communication des marques. Ici, le message de Tropicana autour du recyclage est plus gros que… son logo !
Deuxièmement, pour plaire aux investisseurs. Ces derniers exigent en effet de plus en plus d’informations dites “extra-financières” — c'est-à-dire qui ne sont pas purement liées aux performances économiques de l’entreprise.
Car si les investisseurs visent évidemment une certaine rentabilité financière, ils veulent également avoir l’assurance que leurs futurs profits seront générés de façon socialement responsable. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’une question de conscience professionnelle, il s’agit aussi de séduire de nouveaux investisseurs qui eux aussi veulent voter avec leur portefeuille en finançant d’abord des sociétés vertueuses.
La grande tentation
Les placements ESG (pour Environnement, Social, Gouvernance) se sont donc logiquement développés à une vitesse folle. Après une augmentation de 54% sur un an, ils représentaient 2 700 milliards de dollars d’actifs sous gestion fin 2021 ! Il s’agit du secteur qui connaît la plus forte croissance actuellement.
Ce n’est donc pas une surprise que ce label attire du monde, y compris certaines entreprises aux pratiques douteuses. Attention, nous ne pensons pas que l’univers des investissements dits ESG soit infesté d’hypocrites. La plupart des entreprises qui s’en réclament sont en effet sur la voie d’une activité plus durable et ont changé, parfois radicalement, de modèle d’affaires. Mais il y a toujours une part de filous.
Le cas récent de DWS, une société de gestion star en Allemagne
Des exagérations a priori flagrantes
Une grosse affaire de greenwashing a éclaté en Allemagne la semaine dernière. DWS, une société de gestion contrôlée par la Deutsche Bank, a fait l’objet d’un raid policier, à la demande des autorités réglementaires.
Tout commence lorsqu’une ancienne employée, une certaine Désirée Fixler, accuse son ex-employeur de très largement exagérer ses positions pro-environnementales. Spécifiquement, elle conteste les déclarations officielles de DWS selon lesquelles plus de la moitié de ses actifs sous gestion sont investis selon des critères ESG. Car c’est bien ce qu’avance DWS dans son rapport annuel de 2020.
Et ses déclarations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Car le régulateur allemand (BAFIN) se méfie de la multiplication rampante des placements auto-proclamés “verts”.
Mardi dernier, quelque cinquante policiers allemands descendent dans les locaux de DWS et de son actionnaire principal, la Deutsche Bank, pour collecter des données et saisir des ordinateurs.
Soyons précis. L’enquête est aujourd’hui toujours en cours et DWS rejette pour l’instant les accusations portées contre elle. Mais de façon révélatrice, alors qu’elle avait indiqué gérer 459 milliards d’euros d’investissements ESG en 2020, son rapport annuel de 2021 ne fait référence qu’à 115 milliards d’euros de placements ESG. Soit une baisse de 75% par rapport à l’année précédente !
Les conséquences de l’affaire DWS
Un impact direct les dirigeants et les actionnaires
Asoka Wöhrmann, le PDG de DWS est le premier affecté. Il démissionne dans les jours qui suivent le raid de la police.
DWS est puni en bourse. Sa capitalisation boursière perd plus de 6% en une journée. Les investisseurs craignent qu’en cas de condamnation pour greenwashing, les régulateurs allemands et américains cherchent à faire un exemple, en imposant des sanctions très lourdes. Par ricochet, la Deutsche Bank voit son titre décrocher de plus de 1% en bourse.
Un signal clair aux fraudeurs
Les autorités réglementaires ont là l’opportunité d’envoyer un signal clair aux dirigeants des grandes entreprises tentés de surestimer leurs efforts de lutte contre le réchauffement climatique et/ou en faveur de l’inclusion sociale.
Le manque de clarté
Si elle donne sans doute du grain à moudre aux fraudeurs purs et durs, l’affaire DWS ne résout pas une problématique plus fondamentale autour de l’investissement ESG. En fait, elle ne fait qu’illustrer le manque d'homogénéité dans la définition d’un placement ESG. Sans règles claires et unifiées, difficile d’éviter les interprétations plus ou moins honnêtes.
L’exemple de l’industrie de l’armement
De nombreux fonds labellisés ESG ou ISR procèdent par exclusion. C’est-à-dire qu’ils restent totalement à l’écart de certaines industries, dont typiquement la pornographie, le tabac, l’alcool, le pétrole et l’armement.
Arrêtons nous un instant sur ce dernier secteur. Est-ce bien “socialement responsable” de ne pas financer les sociétés qui produisent des radars, des vestes pare-balles et autres systèmes défensifs, alors que la Russie vient d’envahir l’Ukraine ?
La banque suédoise SEB a longtemps interdit à ses gestionnaires d’investir dans toute entreprise dont les activités d’armement représentent plus de 5% du chiffre d’affaires. Elle vient d’abolir cette règle pour six des fonds.
Il semblerait donc que le concept même de ce qui est ou n’est pas socialement responsable peut évoluer dans le temps.
Environnement, Social, Gouvernance — un champ trop large ?
Le second problème auquel se heurtent les spécialistes est celui du champ d’application de l’ESG. L’acronyme a été inventé en 2004 par un groupe de travail aux Nations Unies. Et il fut très utile pour attirer l’attention sur le rôle que l’investissement pouvait jouer pour stimuler des efforts dans les 3 domaines.
L’avantage est que ce label couvre de vastes sujets, très différents, allant de l’équité sociale à la protection de la planète. Il offre donc une grande flexibilité à ceux qui veulent avoir un impact positif sur un ou plusieurs domaines.
Cela a donné lieu à une multitude de stratégies de placement. On peut adopter une tactique de sélection sectorielle négative, fondée sur l’exclusion de certaines industries, comme mentionné précédemment. Mais aussi procéder par sélection positive, et n’investir que dans des secteurs verts comme celui des énergies renouvelables. Ou encore choisir une approche best-in-class, qui consiste à sélectionner les sociétés les plus vertueuses en matière d’ESG au sein de tous les secteurs de l’économie, sans en exclure.
Mais on voit bien comment cette diversité initialement avantageuse peut prêter à confusion… et faciliter le greenwashing en bout de course.
Les autorités à l’oeuvre pour clarifier
Consciente du problème, la Securities and Exchange Commission américaine (SEC) prépare actuellement des standards de marché plus clairs et uniformes, afin de définir ce qui tombe sous la qualification d’un placement ESG.
Elle a d’ailleurs annoncé qu’elle punira toute société de gestion qui abuserait des termes “investissement socialement responsable” ou “placement durable”. Et qu’elle sera particulièrement vigilante sur la façon dont les produits d’investissement labellisés ESG seront proposés et décrits aux épargnants.
Il semblerait aussi que les régulateurs réfléchissent à la vérification possible des votes exprimés par les gestionnaires en charge de fonds ESG aux assemblées générales des sociétés dans lesquelles ils ont investi.
En résumé, le concept d’investissement socialement responsable fait face aux défis habituels d’un produit de niche qui ne l’est plus. Avec son développement rapide, il s’expose à des abus, des détournements et des contrefaçons, qu’il faudra du temps au régulateur pour identifier et punir.
Mais pour réduire les risques de greenwashing, et pour faire face à la menace réelle et brûlante de la crise climatique (entre autres), une homogénéisation des définitions employées est indispensable.
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