Les junk bonds ou, en bon français, les obligations pourries, méritent aujourd'hui un article dédié. Pour deux raisons.
D’abord, car le président Trump a gracié la semaine dernière le financier Michael Milken, considéré comme le roi des obligations spéculatives grâce auxquelles il avait fait fortune dans les années 80... avant d’écoper de 10 ans de prison pour fraude et délit d'initié. Ensuite, car il se trouve que dans la même semaine, Renault a rejoint le club des sociétés tombant dans la catégorie d’émetteurs de dette dite spéculative. On vous explique.
Tout commence avec la notation
Standard & Poor's, Moody’s aux Etats-Unis et Fitch en Europe... ces trois agences de notation sont les arbitres incontestés de la catégorisation de la dette, attribuant des notes — un peu comme le guide Michelin — allant d'AAA à D pour la plus basse. Concrètement, ces agences passent au scanner les titres obligataires du monde entier en cherchant à savoir si ils sont dignes de confiance. Dans le cas d'une obligation notée AAA, la société est inébranlable, il faudrait un cataclysme pour qu'elle fasse faillite. Dans le cas d'une dette notée C, le bateau coule, on a déjà les pieds dans l'eau. D'où l'expression d'obligation « pourrie ».
La dette la mieux notée est typiquement celle émise par les grands États du monde développé, comme l’Allemagne, ou les pays Scandinaves par exemple. Fait notable : la France a perdu sa notation triple A il y plusieurs années, mais se maintient à un très respectable double A. Du côté des entreprises, il n’existe plus que deux entreprises notées triple A : Microsoft et Johnson & Johnson. À ce niveau de notation, les risques de défaut pour un investisseur sont quasi inexistants, la société est considérée comme extrêmement solvable.
Au fur et à mesure que le risque de défaut augmente, la note baisse et le rendement que doit offrir l'emprunteur sur sa dette augmente progressivement pour compenser ce risque. Du point de vue investisseur, plus je prends de risque, plus je m'attends une rémunération importante.
La BBascule
Au niveau BBB et au dessus, l’émetteur de dette est considéré comme étant investment grade. En dessous de cette limite, c'est à dire à partir de BB et en dessous, on entre dans une classe d'actifs dits spéculatifs, c'est à dire dans un pan de marché où le risque de défaut est plausible. Il y a une chance réelle que l'emprunteur de rembourse jamais — du moins c'est l'avis des analystes de crédit des agences de notation (à comparer avec les inspecteurs du guide Michelin).
Soyons clairs : tous les titres, notés de AAA à C, s'échangent sur les marchés. Ce n'est pas parce qu'un titre n'est plus investment grade qu'il sort du circuit. La différence se situe dans le niveau de risque et donc dans le type d'investisseurs que ces titres attirent. En dessous de BB, ce sont notamment les investisseurs les plus professionnels (ou joueurs) qui se positionnent, là où les plus conservateurs vendent quasi automatiquement leurs titres pour préserver la qualité globale de leurs portefeuilles.
Cette semaine, Renault s'est fait déclasser par Moody's au rang de BB, suite à l’annonce de résultats financiers faibles et en forte baisse par rapport aux années précédentes. L’agence rivale S&P, qui considère encore Renault comme BBB a signalé qu'elle pourrait s'aligner sur cette évaluation. En d'autres termes, la mauvaise performance financière de Renault, et sa relation compliquée avec son partenaire japonais Nissan, ont non seulement fait baisser 30% de son cours en bourse, mais vont également se traduire par un renchérissement du coût de sa dette.
Un coup dur certes, mais pas fatal
Renault est en très bonne compagnie dans le segment des « anges déchus » (les sociétés anciennement investment grade et déclassées par les agences de notation). Rien que depuis le début de l’année, des grands groupes américains comme le fabricant de ketchup KraftHeinz, la chaîne de magasins Macy’s ou encore le fournisseur de pièces aéronautiques AéroSystems ont rejoint les BB-and-below, représentant collectivement près de 45 milliards de dollars de dette existante.
Perdre sa notation investment grade, c’est un peu comme perdre une étoile Michelin pour un restaurant. Ce n’est pas fatal, mais ça rend moins attractif. Si pour le restaurant cela se traduit fréquemment par une baisse de ses tarifs, l'émetteur obligataire lui, devra payer son endettement plus cher. Et faire face à un nouveau genre d'investisseurs potentiellement plus agressifs.
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