La vente de la division thé d’Unilever n’attire pas les foules
Quand Unilever met en vente sa division thé, incluant les marques mondialement connues comme Lipton et PG Tips, on peut s’attendre à des enchères très disputées. Le business génère un chiffre d’affaires annuel de 2 milliards d’euros, offre des marges stables et ce n’est pas comme si la consommation de thé allait s’arrêter du jour au lendemain.
Surprise : la guerre sur le prix n’a pourtant pas lieu. À l’arrivée il n’y a qu’un seul acquéreur, le fonds de capital investissement CVC. Alors que de nombreux fonds concurrents s’étaient pourtant présentés au départ et avaient exprimé un intérêt de principe. Que s’est il passé ?
Des doutes sur la dimension sociale
Le sujet, pour la plupart des acquéreurs potentiels, était d’ordre social. Car la division thé d’Unilever possède des plantations au Kenya où les conditions de travail et l’équité salariale sont loin d’être exemplaires.
Il faut savoir que les plantations se situent souvent dans des régions éloignées des zones d’habitation. Par conséquent, les patrons de plantations de thé en Afrique de l’Est déterminent non seulement les conditions de travail et les niveaux de salaires, mais fournissent aussi le logement et la couverture médicale de leurs employés. Ils se retrouvent de facto dans des positions de pouvoir importantes… dont ils peuvent abuser facilement. Les exploitations de thé ont été, entre autres, le théâtre de violences, sexuelles ou ethniques en 2007. Et la tendance ne s’inverse malheureusement pas.
C’est la raison pour laquelle un des investisseurs potentiels, le groupe Advent, a commandé un rapport sur ces conditions de travail. Ses conclusions sans appel ont carrément conduit le fonds à soumettre une offre pour l’ensemble de la division, à l’exception des exploitations kenyanes.
Cet exemple montre bien que les questions sociales deviennent un sujet tout aussi incontournable que le respect de l’environnement, dont nous entendons plus souvent parler, sur ce blog, et ailleurs.
La protection de l’environnement au coeur des préoccupations
Les principes ESG (Environnement, Social et Gouvernance) ne sont plus un simple détail. Ils prennent une place centrale dans les stratégies d’entreprises et d’investissement, au même titre que les critères financiers.
Un nombre croissant de grands patrons intègre ces sujets lorsqu'ils s'adressent à leurs actionnaires pour leur faire part de la performance des entreprises qu’ils dirigent. La réduction de l’empreinte carbone et les progrès réguliers pour atteindre une neutralité carbone en 2030 au plus tard sont, pour certains PDGs et directeurs financiers, des indicateurs de performance clés, au même titre que le chiffre d’affaires et le niveau de marge.
Statistiquement, les références à l’empreinte carbone sont en très forte hausse dans les communiqués officiels des grandes entreprises cotées, comme en atteste le graphique suivant :
Il n’y a pas de doute, par conviction ou sous la pression des actionnaires et du grand public, le sujet de la protection de l’environnement est de plus en plus pris au sérieux par le monde “corporate”. Peut-être pas encore suffisamment, mais le “E” environnemental dans l'abréviation ESG a fait sa place.
Le capital investissement au service de l’équité sociale ?
De retour à Unilever, ce qui est étonnant dans cette affaire, c’est que ce sont plusieurs sociétés de capital investissement qui refusent de soumettre une offre, pour un business pourtant rentable.
Ces fonds sont pourtant plutôt connus pour leur approche froidement rationnelle, souvent agressive, et purement financière. Leur seul et principal objectif reste de maximiser les gains de leurs investisseurs, et donc de faire des deals profitables.
Carlyle, un des fonds capital investissement emblématiques et parmi les plus puissants du monde avec ses 293 milliards de dollars d’actifs sous gestion, a tout bonnement décidé de se retirer de la course à quelques jours de la date limite. En citant spécifiquement ses doutes sur le plan ESG pour expliquer sa décision.
Blackstone, un autre mastodonte du capital investissement s’était retiré de la course plus tôt, pour les mêmes raisons.
Ces acteurs dépendent en effet des investisseurs fortunés qui leur confient leur épargne pour financer leurs acquisitions. Et ces investisseurs sont de plus en plus sensibles aux sujets environnementaux, d’équité sociale et de juste gouvernance. Par ricochet, les gestionnaires des fonds le sont devenus à leur tour, et prennent en compte les critères ESG dans leur évaluation des dossiers. Pour écarter ceux où les risques ESG sont trop importants, même si les conditions sont réunies pour faire un énorme coup financier.
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