Connaissez-vous le concept du stress test ? Il est appliqué dans de nombreuses industries, mais c’est dans la finance et le monde bancaire qu’il est sans doute le plus connu — et le plus redouté. Depuis la crise 2008, les régulateurs s’efforcent d’inventer des scénarios catastrophes, pour étudier si et comment les banques y résistent.
Les résultats des derniers stress tests 2023 viennent d’être publiés… Peut-on faire confiance aux banques ? Qui sont les pires élèves de la classe ? Les résultats sont surprenants.
Dans l’ensemble, les banques sont robustes
Les bons élèves survivent au pire scénario
Un stress test est composé de différents scénarios, dans lesquels les autorités réglementaires, comme la Banque Centrale Européenne (BCE), font varier la sévérité d’une crise économique hypothétique. Parmi les variables, citons notamment la baisse (brutale) de l’activité économique pendant 3 années consécutives, une forte hausse du chômage, un krach immobilier et des taux d’intérêts qui s’envolent. Ces scénarios sont alors appliqués aux grandes banques, qui font tourner leurs modèles conduisant à des projections précises de l'impact qu'ils auraient sur la robustesse de leurs bilans. Ils soumettent alors leurs évaluations à leurs superviseurs respectifs, qui peuvent ensuite en tirer des conclusions au niveau national, puis européen.
Bonne nouvelle, même dans le plus sévère des scénarios — un contexte pire que celui que nous avons connu en 2008 et le test le plus sévère jamais appliqué aux banques — l'évaluation conclue que seules trois des 70 banques européennes soumises au test auraient besoin de renforcer leur capitaux propres.
Certes, elles prendraient un sacré coup. Pour être plus précis, selon les projections obtenus à l'issu du test, elles perdraient collectivement 500 milliards d’euros pendant les 3 ans du scénario. Mais seules trois banques verraient leurs niveaux de capitaux réglementaires tomber sous le seuil minimal qui leur est imposé. Trente-sept autres banques subiraient des restrictions sur la part des bénéfices qu’elles seraient autorisées à distribuer à leurs actionnaires, via des dividendes ou des rachats d'actions.
L’Autorité Bancaire Européenne, chargée du test, se congratule d’ailleurs des résultats de ces simulations.
Le pire élève ? La Banque Postale !
Cela nous a surpris, mais de toutes les banques soumises au test, c’est la banque européenne qui s’en sortirait le moins bien. Le classement des banques montre que sous le scénario sévèrement adverse, La Banque Postale verrait son capital totalement effacé.
C’est étonnant, car La Banque Postale est souvent — et selon nous, à très juste titre — perçue comme une des banques les plus safe du monde. Et cela notamment parce qu’elle est contrôlée par l’État français. Mais aussi par la nature de ses activités traditionnelles, comme la banque de détail et les prêts aux ménages, dont le niveau de risque est généralement bien plus bas que les activités de trading. Et dont les revenus sont bien plus stables dans le temps, comparés à celle générés par les activités de conseil en fusions et acquisitions, qui varient fortement au gré de l'activité économique.
Mais La Banque Postale a récemment pris le contrôle de la CNP, dont elle est l’actionnaire majoritaire, à hauteur de 60%. Or, sous les règles comptables en vigueur l’année dernière, la valeur de cette participation serait très fortement impactée sous le scénario catastrophe inventé par l’ABE. Effaçant rapidement le matelas en capital, pourtant très conséquent, de la banque. La Banque Postale a d’ailleurs rappelé que son ratio de capital Tier 1 atteignait 18% à la fin de 2022. À comparer avec un seuil minimum exigé par les régulateurs bancaires de 8,38% dans son cas.
L’utilité des stress test : une question de confiance
La confiance des clients
Pourquoi nous vous parlons de cet exercice, qui par sa complexité technique peut paraître adressé à un public d’experts ?
Parce que c’est un moyen très utile pour n’importe quel client de se faire une idée de la robustesse du système bancaire. Et de se rassurer, ou pas, sur le fait que ses dépôts sont en lieu sûr à la banque de son choix.
Même pour ceux qui ne se souviennent pas des défauts et des sauvetages bancaires in extremis de 2008 (Lehman Brothers, Washington Mutual, Northern Rock, Royal Bank of Scotland, Commerzbank...), le passé récent souligne combien la confiance des clients est cruciale à la survie d’une banque donnée… et celle du système bancaire plus globalement.
C’est bien la soudaine méfiance des déposants, et les retraits massifs de leurs liquidités, qui ont poussé la Silicon Valley Bank à la faillite, et l’illustre banque privée Crédit Suisse dans les bras de son concurrent UBS.
Que ce soit à l'échelle des banques françaises ou sur le plan européen, on peut conclure que les tests sont plutôt de nature à rassurer les déposants sur la résistance des établissements financiers supervisés.
La confiance entre banques
Le stress test est également là pour assurer la confiance des banques entre elles. Certes, elles sont concurrentes, mais vu les volumes d’argent qu’elles s’échangent entre elles, il faut aussi qu’elles puissent se soutenir mutuellement. Ce n’est qu’ensemble qu’elles permettent le fonctionnement de la machine financière mondiale.
Toujours en se rappelant de la crise financière de 2008, lorsque les banques se méfient de la gestion des risques et de la santé financière de leurs consoeurs, cela assèche les flux financiers, réduit la fluidité des échanges économiques et précipite la crise économique. Plus concrètement, la disparition de la confiance entre banques peut directement pousser une ou plusieurs d’entre elles à la faillite (Lehman Brothers) ou la vente forcée (Bear Stearns, Merrill Lynch, …).
Avoir le temps de se préparer
Soyons clair, ce n’est pas parce qu’une grosse banque tombe sous son seuil de capital réglementaire dans le cadre d’un test tout aussi sévère que théorique qu’elle doit immédiatement procéder au renforcement de son capital. Mais les résultats peuvent aider les directions des banques à identifier des zones d’attention, et à guider leurs décisions stratégiques. Cela peut aussi influer sur l’allocation de leurs profits en temps de vaches grasses.
Ainsi, ce n’est qu’après avoir eu le blanc-seign de la puissante Réserve Fédérale que plusieurs grandes banques américaines ont décidé d’augmenter les dividendes qu’elles versent à leurs actionnaires.
Les limites du stress test
Pas toutes les banques contrôlées
Le test a été appliqué aux 70 banques les plus importantes en Europe. Cinquante-sept d’entre elles sont basées en Europe et celles-ci représentent environ trois-quarts des actifs bancaires de la zone. Les treize banques restantes sont typiquement les grosses filiales de groupes bancaires américains ou asiatiques. Donc la très vaste majorité du système bancaire est passée au peigne fin.
Toujours est-il que des banques de taille plus modeste n’ont pas eu à passer le test. En Europe, cette observation n’est pas très pertinente, car le test capte la quasi-totalité du marché bancaire de la zone Euro.
Mais aux US, où le secteur bancaire est plus fractionné, les limites de l’exercice sont très clairement apparues au début de cette année, quand plusieurs banques régionales, trop petites pour être incluses dans le scope du stress test américain, ont fait faillite, en causant un vent de panique sur le secteur bancaire bien au-delà des frontières américaines.
Impossible de tester tous les scénarios
Nous sommes admiratifs de la qualité des travaux d’analyse entrepris par les équipes de l’ABE. Elles ont su développer des outils pour tester des dizaines de banques, différentes par leurs origines, leur taille et leurs activités, en leur appliquant une série des scénarios de façon uniformisée. Et cela de façon régulière, ce qui permet de vérifier la pertinence et d’affiner les modèles très complexes qui mènent aux résultats.
Les conclusions des stress tests sont sans doute directionnellement justes et donc pertinentes pour toute personne qui s’intéresse à la santé financière du système financier qui soutient notre économie.
Mais le futur est impossible à prédire. Et les scénarios que l’ABE peut faire raisonnablement tourner sont forcément limités en nombre.
Donc il nous paraît important de bien comprendre le fonctionnement des stress tests bancaires, afin d’aussi en reconnaître les limites naturelles.
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