La croissance est plus forte aux États-Unis qu’en Europe. Pour l’expliquer, on avance souvent que l’Amérique dispose de ressources naturelles et/ou qu’on y innove plus. Voilà que Nicolai Tangen, le puissant patron du fonds souverain norvégien jette un pavé dans la mare. Selon lui, c’est aussi et notamment parce que les Américains travaillent plus.
Doit-on tenir compte de l’opinion de Nicolai Tangen ?
Avant de plonger dans le vif du sujet, expliquons brièvement pourquoi l’opinion de ce financier compte. Nicolai Tangen dirige Norges, le fonds d’investissement créé par la Norvège, qui place la richesse accumulée grâce à l’exploitation des ressources pétrolières du pays. Il dispose aujourd’hui de 1,6 trilliard de Dollars, ce qui en fait un des investisseurs les plus puissants au monde. Il est tellement gros qu’il détient (en moyenne) 1,5% de toutes les entreprises cotées en bourse au monde. Et même 2,5% (en moyenne) de toutes les entreprises européennes cotées.
Et parce que les dirigeants de Norges estiment que la croissance est structurellement plus forte aux US, ils ont augmenté leurs investissements outre-Atlantique, au dépens de leurs placements en Europe. Les investissements américains représentent aujourd’hui la moitié de leur portefeuille, contre moins du tiers en 2013.
Donc oui, l’opinion de Nicolai Tangen n’est pas à prendre à la légère.
Est-ce que les Américains travaillent vraiment plus ?
La réponse courte est … oui. Selon une étude de l’OCDE, les Américains travaillent 1811 heures par an en moyenne. Ce qui est 15% de plus que les Européens, pour lesquels cette même moyenne tombe à 1571 heures par an (et même à 1341 en Allemagne, le cancre de la classe).
Et ce n’est pas uniquement parce que ces derniers passent quelques semaines de plus à la plage en été. En effet, l’Organisation Internationale du Travail conclut qu’en France, au Royaume-Uni et en Allemagne la journée de travail est plus courte d’une demie heure par rapport aux États-Unis.
Ah, mais les Américains passent peut-être plus de temps autour de la machine à café ? Non plus, ils sont tout aussi productifs que les travailleurs Européens. Du coup, leurs salaires moyens sont plus élevés qu’en Europe, à l’exception du Luxembourg, de la Norvège, de la Suisse et de l'Irlande.
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Ouvrir un livretPourquoi les Européens travaillent-ils moins ?
Une histoire de culture ? Hmmm… pas si vite
Cela pourrait être une explication. Les Européens veulent plus profiter de la vie. Peut-être que la réussite aux États-Unis se définit par rapport à un statut social et à l’argent, alors que sur le Vieux Continent on envie moins les gens riches qui ont sacrifié leur vie personnelle pour y parvenir ?
C’est sans doute partiellement vrai. En Europe, une fois qu’on a atteint un certain niveau de vie, on a tendance à privilégier le temps libre et les loisirs, alors qu’aux US on favorise la maximisation du revenu et le fait de faire carrière. Sur ce plan, l’écart s’est un peu plus creusé depuis la pandémie. Depuis les confinements, les hommes, et notamment des jeunes pères, affichent un plus grand désir de lever le pied. Il en est de même pour les jeunes, qui, dès leur arrivée sur le marché du travail, accordent une plus grande importance à l’équilibre entre leurs vies professionnelles et privées.
Mais ce n’est pas uniquement une histoire de différence culturelle. Car jusqu’aux années 1970, les Européens travaillaient plus que les Américains en moyenne. Depuis, les derniers n’ont fait que maintenir le nombre d’heures travaillées, alors que les premiers en font (beaucoup) moins. En un demi siècle, les Allemands travaillent 30% de moins !
Les impôts réduisent-ils la motivation au travail ?
C’est la thèse de l’économiste américain Edward Prescott. Jusqu’aux années 1970 les niveaux d’imposition étaient globalement similaires des deux côtés de l’Atlantique, tout comme les heures passées au travail.
Mais au début des années 1990, les impôts sur les revenus ont fortement augmenté en Europe, rendant, selon Prescott, les travailleurs moins motivés pour en faire plus. L’écart entre les taux d’imposition subsiste aujourd’hui : les revenus fiscaux aux USA représentent 28% du PNB, alors qu’ils sont d’environ 40% en Europe. Pourquoi travailler plus, si ce travail supplémentaire rapporte, net et après impôts, si peu ?
Une fois de plus, l’explication n’est probablement pas aussi simple. Le chercheur Josef Sigurdsson de l’Université de Stockholm a étudié le phénomène en observant le comportement des Icelandais lorsque ceux-ci pouvaient bénéficier d’une année blanche fiscale en 1987, quand le pays a décidé de changer de système d’imposition. En toute logique, c’était une année où travailler plus aurait été optimal. Son analyse démontre que les personnes bénéficiant de temps de travail flexible, et en particulier les jeunes dans des jobs à temps partiel, ont effectivement travaillé plus d’heures. Mais dans l’ensemble, l’impact de l’absence de fiscalité n’a pas été aussi important que le modèle de Prescott aurait impliqué.
La réglementation plus lourde en Europe
C’est sans doute un facteur explicatif important. En Europe, les travailleurs ont plus de pouvoirs et de droits, allant de congés de maternité et de paternité à des lois plus strictes encadrant le licenciement. Dans certains pays, il existe des limites hebdomadaires sur le temps de travail. En France, il s’agit de la fameuse semaine de 35 heures, qui selon de nombreuses études a pesé sur le temps travaillé.
Les syndicats plus puissants en Europe
En Europe, les syndicats sont bien présents et relativement puissants. Ils ont réussi à négocier des congés payés, qui ont été inscrits dans les lois. En Amérique, où les syndicats sont plus faibles, les congés payés ne sont pas une obligation légale. Dans de nombreuses industries, le nombre de jours de congés payés a été négocié par convention collective. Mais typiquement, le nombre de jours de vacances est (très) faible en début de carrière, et il peut être risqué de demander plus de jours de vacances à son employeur, qui pourrait y voir un signe de manque de motivation.
USA vs. Europe : quel modèle est gagnant ?
Pour un investisseur, le modèle américain l’emporte
D’un point de vue financier, le modèle américain est plus puissant. Aux USA, la réussite peut permettre aux entrepreneurs - et ceux qui les financent - de devenir très riches. L’échec en affaires n'est pas stigmatisé, l’entrepreneuriat et la prise de risque y sont encouragés. Et ce contexte favorise l’innovation. L’Europe n’a pas de Google, d’Apple, de Tesla ou de Facebook.
Cela se traduit par des performances boursières meilleures. En 10 ans, la bourse américaine a délivré un rendement de 158%, contre seulement 43% pour les valeurs européennes.
Mais l’argent ne fait pas le bonheur
Les Américains sont modestement plus investis au boulot que les Européens, mais la grande majorité d’entre eux aimerait travailler moins. Dans le dernier rapport mondial sur le bonheur, les Américains finissent à la 23ème place alors que les pays Scandinaves occupent les premières places.
Dans la prolongation de ce qui précède, les Européens se portent aussi mieux physiquement. La longévité est un indicateur de la santé d’une population et les Européens vivent plus longtemps. Les Espagnols, pourtant plus pauvres que les Américains, jouissent d’une espérance de vie de 83 ans, à comparer avec une longévité moyenne de 77 ans outre-Atlantique.
Enfin, le modèle américain ne peut pas tenir dans son état actuel au regard de son empreinte carbone. Les Américains étant plus fortunés, ils dépensent leur argent, entre autres, pour consommer plus. En conséquence, en 2023 ils émettaient 13,3 tonnes de CO2 par personne, contre 5,4 tonnes en moyenne pour les Européens.
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