Le taux d'usure est-il trop bas?

Jun 28, 2022

Cela peut surprendre, mais dans de rares circonstances — comme celles d’aujourd’hui — le taux de l’usure, fixé à un niveau trop bas, devient défavorable pour les emprunteurs. Explication…

Le taux d’usure protège contre l’endettement abusif

Une protection historique

Le taux d’usure est une mesure très ancienne. Il a été introduit dans le Code Civil en 1804 pour protéger les emprunteurs contre d’éventuels abus de la part des banques et établissements de crédits. Concrètement, il s’agit d’encadrer le taux d’intérêt à partir duquel un crédit est considéré comme “usurier”.

Les peines en cas d’infraction sont lourdes : jusqu’à 300 000 euros d’amende et 2 ans de prison ! Auxquels s’ajoute l’interdiction pour la banque fautive de proposer des prêts pendant plusieurs années. Autrement dit, une sanction mortelle pour tout établissement de crédit.

La méthode de calcul

Le taux d’usure est calculé par La Banque de France selon une formule fixe. Ou plutôt, selon plusieurs formules, car il existe un taux d’usure pour chaque type de prêt, allant des prêts à la consommation jusqu’aux prêts immobiliers, en passant par les prêts relais. Au sein de chaque catégorie de prêt, le taux d’usure varie selon le montant du prêt, et de sa durée. 

Pour chaque catégorie, la Banque de France calcule le taux moyen pratiqué par les banques pendant un trimestre, et augmente ce taux d’un tiers. Le chiffre obtenu constitue le taux d’usure du trimestre suivant.

Prenons un exemple. Le taux moyen pour un crédit immobilier de plus de 75 000 euros sur une durée de 10 à 20 ans était de 1,82% au premier trimestre de cette année. Par conséquent, le taux d'usure pour ce type de prêt au 2e trimestre a été fixé à 1,82% + ⅓ soit 2,43%.

A priori, c’est donc plutôt rassurant de savoir que les banques n’ont pas le droit de vous prêter au-delà d’un certain seuil. Donc où est le problème décrit plus haut ? 

Le taux d’usure protège tellement bien, qu’il restreint l’accès au crédit

Le contexte : une hausse de taux rapide et significative

Pour expliquer dans quelles circonstances le calcul du taux de l’usure peut devenir un frein au crédit, et donc un problème pour les emprunteurs, il faut se pencher sur l’évolution des taux d’intérêt.  

Plaçons-nous au dernier trimestre de l’année dernière. 

Le rendement (ou taux d’intérêt effectif) sur l’obligation de l’État français à 10 ans — aussi appelé l’Obligation Assimilable du Trésor ou “OAT” pour les initiés — est à peu près à 0%. C’est-à-dire que l’État français peut alors s’endetter à un taux d’intérêt nul.

Avec l’État français comme référence, les grandes banques françaises peuvent s’endetter sur les marchés obligataires en payant un peu plus, disons 0,50%. Cette modeste différence reflète le risque que la banque fasse défaut, naturellement plus important que le risque que la France n’honore pas ses obligations.

Au même moment, le taux de l’usure (toujours pour des prêts immobiliers de plus de 75 000 euros, de 10 à 20 ans) est établi à 2,39%.

En simplifiant, on voit bien que si la banque peut s’endetter à 0,50% et prêter cet argent à des taux d’intérêt allant jusqu’à 2,39%, elle dégage une marge confortable … tout va bien. Même en prenant en compte ses coûts (personnel, agences, frais juridiques,...) et un certaine proportion d’emprunts non remboursés, elle peut gagner sa vie.

Regardons maintenant la situation aujourd’hui.

Le graphique ci-dessus montre que le taux de l’OAT à 10 ans a grimpé rapidement depuis le début de l’année, pour atteindre presque 2%. Les banques peuvent continuer à s’endetter sur les marchés obligataires, mais toujours en payant plus que l’État français. En conservant le même écart que précédemment, disons qu’elles se financent désormais à 2,50%.

Le taux de l’usure, lui, a aussi augmenté, mais du fait de sa méthode de calcul, beaucoup moins rapidement. Il est à 2,43% pour le second trimestre de 2022. Un taux qui est… inférieur à celui auquel les banques empruntent ! Vendre moins cher qu’au prix auquel on achète n’est pas un modèle d’affaire très sain.

Évidemment, cette analyse est simplifiée à l'extrême. Car les banques se financent en réalité de plein de façons différentes et pas que sur les marchés obligataires. Par ailleurs, elles sont prêtes à fournir des prêts immobiliers à des marges très faibles, voir nulles, parce que c’est un excellent moyen de fidéliser des client sur de longues durées, pendant lesquelles elles peuvent lui vendre d’autres services financiers rentables (cartes de crédit, placements divers, assurances etc.). 

Mais il n’empêche que le plafond du taux de l’usure fait mal aux banques, et que leurs marges fondent rapidement.

Restreindre l’accès au crédit (immobilier)

Pour s’en sortir, il n’y a pas cinquante solutions. Les banques vont naturellement augmenter le prix de leurs crédits, tout en cherchant à minimiser au maximum leurs taux de défaut. Dit simplement, quitte à prêter à marge nulle, elles vont uniquement prêter aux meilleurs clients, dont elles sont (quasiment) certaines qu’ils rembourseront en temps en en heure.

Dans la pratique, les banques ont commencé à refuser les dossiers qui présentent un risque, à leurs yeux trop important. Il est ainsi devenu beaucoup plus difficile pour des personnes âgées ou sans emploi stable d’obtenir une offre de prêt. Car le taux d’intérêt qui devrait leur être appliqué serait supérieur au seuil légal de l’usure.

En adoptant toutes la même stratégie, les banques restreignent donc artificiellement l’accès au crédit (immobilier) à des pans entiers de la population. 

Un sujet économique mais aussi politique

Les banques sont bien conscientes du rôle crucial qu’elles remplissent pour la société. Les crédits qu’elles fournissent sont l’huile dans le moteur qui la fait tourner. Elles ont donc tiré la sonnette d’alarme à l’occasion de la réunion mensuelle entre la Fédération Bancaire Française et le Ministre de l’Économie et de Finances. Qui a bien compris l’importance du sujet. 

Bruno Le Maire et ses équipes ont annoncé qu’ils étaient ouverts à une évolution rapide de la méthode de calcul du taux de l’usure. Une façon de donner un peu plus d’air aux banques serait d’actualiser le taux de l’usure de façon mensuelle, au lieu de tous les trimestres.

Dossier à suivre, car la prochaine fixation des taux d’usure aura lieu dans quelques jours. Au 1er juillet pour être précis. Et bizarrement, il serait avantageux qu’il soit fixé à un niveau nettement plus élevé qu’aujourd’hui.

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