Fleetwood Mac, Bruce Springsteen, David Bowie, Bon Jovi… tous ont récemment décidé de vendre leurs catalogues musicaux. Pourquoi maintenant? Et d’où vient cet engouement pour ces vieux tubes ?
Les droits d’auteur, une classe d’actifs émergente
Petit rappel sur les classes d’actifs : traditionnel vs. alternatif
Dans The Interest, nous vous parlons souvent d’obligations, d’actions cotées et de dépôts, les trois placements les plus communément définis comme des actifs traditionnels. Ces derniers s’échangent typiquement sur des marchés réglementés, et sont relativement faciles d’accès.
Mais il existe d’autres types d’actifs, dits alternatifs, comme par exemple l’immobilier, les hedge funds (fonds spéculatifs) ou l’art, qui sont plus complexes à évaluer. Par ailleurs, ces actifs alternatifs sont parfois moins, voire pas du tout régulés. Il est aussi plus difficile de les échanger — on dit qu’ils sont moins liquides.
Ce sont donc généralement les investisseurs professionnels et/ou très fortunés qui optent pour ces placements, souvent dans l’idée de diversifier leurs portefeuilles. Ces investisseurs avertis peuvent aller jusqu’à investir dans des grands vins, des vieilles voitures, des montres de luxe (dont certains modèles très rares peuvent doubler, tripler de valeur en quelques années)....
Le dernier actif alternatif à la mode : les catalogues de musique
Mais voilà qu’un nombre croissant d’investisseurs s’intéressent maintenant aux droits d’auteur musicaux et aux catalogues des plus grands artistes. Récemment, les descendants de David Bowie ont vendu son catalogue pour 250 millions de dollars. Bruce Springsteen a empoché plus de 500 millions de dollars pour le sien.
Vous conviendrez que les montants en jeu sont suffisamment importants — et les stars concernées suffisamment connues — pour qu’on s’y intéresse !
Pourquoi investir dans un catalogue de musique ?
Le streaming a transformé l’industrie de la musique
Si vous vous souvenez comment utiliser un crayon pour rembobiner une cassette avant de la remettre dans votre walkman, vous savez combien la façon dont nous écoutons de la musique a changé en quelques décennies. Les plateformes de streaming, comme Spotify ou Deezer ont fondamentalement transformé l’échelle à laquelle les tubes sont écoutés. Et ces écoutes digitales sont beaucoup plus facilement mesurables et donc facturables.
En conséquence, l’industrie de la musique, dont on pouvait craindre une lente descente aux enfers, voit ses revenus croître d’année en année. En 2020, ils ont augmenté de 7,4% pour dépasser les 21 milliards de dollars, selon la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique.
“Dreams” de Fleetwood Mac, encensé par TikTok
Vous faites peut-être partie des 230 millions de personnes qui ont vu sa vidéo. Après être tombé en panne, un certain Nathan Apodaca décide de poursuivre sa route à skateboard. Il se filme une bouteille de jus de cranberry à la main, sur la bande son Dreams de Fleetwood Mac. Devenue virale sur TikTok, la chanson, vieille de 40 ans, a été téléchargée des centaines de millions de fois dans les semaines suivantes. Des dizaines d’influenceurs ont suivi le mouvement… même le batteur du groupe Fleetwood Mac !
Cette vidéo a eu des conséquences énormes, notamment pour les membres du groupe Fleetwood Mac qui ont soudainement empoché des royalties à la pelle. Ils ont décidé de profiter de l’occasion, et la chanteuse Stevie Nicks a vendu son répertoire de tubes pour 100 millions de dollars à un fonds d’investissement.
La logique financière : des revenus stables et réguliers
Il y plusieurs types d’acquéreurs qui s’intéressent aux catalogues de musique. Historiquement, ce sont les grandes maisons de production comme Warner Music ou Sony Music qui achètent les catalogues des artistes établis pour bénéficier des royalties réguliers que leurs discographies procurent. Mais avec la croissance renouvelée du secteur de la musique, les grands fonds de capital investissement comme KKR ou Blackstone se sont également positionnés dans le secteur. Très récemment, le géant des investissements obligataires Pimco a annoncé s’être associé avec la maison de production BMG pour acquérir des droits. Bref, la compétition est de plus en plus rude.
Ce qui attire ces investisseurs, ce sont surtout les flux de revenus réguliers que les catalogues de chansons génèrent. Le profil financier d’un catalogue de chansons ressemble en cela aux revenus stables que génèrent les obligations. En effet, une obligation verse un coupon défini à échéances fixes jusqu’à son échéance. Les royalties payés sur les droits d’auteur s’apparentent à des coupons, sauf qu’ils peuvent potentiellement générer des revenus sur des durées très longues (“Dreams” de Fleetwood Mac a connu son premier succès en 1977 !). En France, une œuvre met 70 ans à tomber dans le domaine public, après la mort de son auteur. Cela laisse le temps de voir venir.
Pourquoi vendre sa discographie aujourd’hui ?
Des droits d’auteurs évalués entre 15 à 25 fois les revenus annuels historiques
Un acheteur potentiel évalue la valeur de ces droits d'auteur en fonction des revenus historiques qu’ils ont procuré dans le passé (en espérant pouvoir augmenter les écoutes et donc les royalties futures).
Aujourd’hui, les acheteurs sont prêts à payer entre 15 et parfois jusqu’à 25 fois ces revenus annuels. Rappelez-vous que ces revenus ont fortement augmenté ces dernières années grâce au streaming, et donc que la valeur des discographies augmente d’autant.
Cela explique pourquoi les artistes sont prêts à les vendre : ils peuvent potentiellement s’offrir une avance sur salaire de 15 à 25 ans. Si ces sommes sont évidemment très impressionnantes, n’oubliez pas que pour y prétendre, il faut d’abord devenir une icône de la musique.
À l’exception de quelques rares élus, le streaming reste une source de revenus médiocre pour la plupart des artistes contemporains.
M’Abonner
Une sélection de nos meilleurs articles chaque mois, et un briefing hebdomadaire sur les marchés