Les rapports annuels sont généralement des documents soporifiques, remplis de chiffres, de termes juridiques et de données comptables. Ceux rédigés par le PDG de Berkshire Hathaway sont une exception notable.
Les conseils d’un investisseur légendaire
Si vous voulez un cours de rattrapage en finance, difficile de trouver meilleur prof que Warren Buffett. Mais comment accéder à ses conseils ?
Première option : vous êtes multimillionnaire. Vous pouvez donc vous payer LE déjeuner avec Warren Buffet, qu’il vend chaque année au profit d’une fondation. En 2019, ce lot est parti pour 4,56 millions de dollars, acheté par un certain Justin Sun, spéculateur en bitcoins de 29 ans. Si l’on en croit son tweet, il estime en avoir eu pour son argent : “$4.56 million [...] was money well spent! The insights I received are priceless.”
Seconde option : vous lisez sa lettre aux actionnaires, qu’il écrit chaque année avec son associé de longue date, Charlie Munger. Elle est publiée en préambule du rapport annuel de Berkshire Hathaway, la société d’investissement qu’ils contrôlent. Cette lettre est accessible en ligne, gratuitement, et depuis belle lurette.
Le “best-of” des lettres précédentes
Avoir des objectifs clairs, et les exprimer clairement
Commençons par la citation suivante, de la lettre de 1979 : “Quand vous recevez une communication de notre part, elle proviendra du gars que vous payez pour gérer l’entreprise. Votre Président est fermement convaincu que les propriétaires ont le droit d’entendre directement de la part du PDG ce qu’il se passe au sein de l’entreprise, comment il évalue l’activité, dans le présent et pour le futur.”(1)
Cette phrase résume parfaitement l’utilité que doivent avoir les rapports annuels des sociétés, notamment celles qui sont cotées en bourse. Ils existent pour donner un état des lieux clair de l’activité de la société, ainsi que la vision précise des dirigeants pour le futur. Le document s’adresse aux propriétaires de la société, ses actionnaires. Il est donc normal que les dirigeants y consacrent le temps et l’effort nécessaire pour s’assurer que le document soit digeste, précis et clair.
Buffett se méfie beaucoup de ce qu’il ne comprend pas, et de ce qui pourrait ressembler à de la manipulation comptable. Comme il l’écrit dans sa lettre de 1992, “les dirigeants qui réfléchissent aux sujets comptables ne devraient jamais oublier une des devinettes favorites d’Abraham Lincoln : ‘Combien de pattes a un chien, si vous appelez sa queue une patte ?’ La réponse : Quatre. Ce n’est pas parce que vous appelez une queue une patte qu’elle en devient une.”(2)
C’est une des raisons pour lesquelles Buffett n’a pas investi dans les grandes banques avant la crise de 2008 : “quand Charlie et moi finissons de lire les longues notes en bas de page, détaillant les activités en dérivés des grandes banques, la seule chose que nous comprenons est que nous ne comprenons pas le niveau de risques que ces institutions prennent.”(3)
Faire sa propre recherche et avoir des convictions
Mais en suivant sa propre maxime “Soyez prudents quand les autres sont gourmands, et gourmand quand les autres sont prudents”(4). Buffett s’est gorgé d’actions bancaires en 2009, devenant un actionnaire important de Bank of America et de Goldman Sachs, à un moment où celles-ci ne valaient plus grand chose. Il avait fait sa propre analyse et estimé que ces valeurs étaient alors survendues. Le sentiment général s’était tourné contre ce secteur, perçu comme étant en péril. Cette position lui a depuis permis de gagner plusieurs dizaines de milliards de dollars.
De la même façon, il aime bien se tenir à l’écart du marché quand l’environnement général lui paraît trop exubérant. Dans ce second cas, il devient difficile d’identifier des sociétés extra-ordinaires, accessibles à bon prix. Portées par un environnement favorable, toutes les entreprises peuvent alors sembler attractives. Mais, comme il aime le rappeler, “On ne voit qui s’est baigné nu, que quand la mer se retire.”
Bref, Buffett aime bien former ses propres opinions sur le marché. Il précise dans une de ses lettres annuelles que s’il n’est pas mauvais de prendre conseil auprès de spécialistes (tels que des conseillers en investissement, des banquiers etc.), il faut se souvenir de leurs motivations. Dit autrement, “il ne faut jamais demander à un coiffeur si on a besoin de se faire couper les cheveux”. (5)
Être patient
Buffett ne cherche pas à faire des coups en bourse. Au contraire, sa “période d’investissement préférée est pour toujours. Nous sommes à l’opposé de ceux qui se dépêchent pour vendre et réaliser des profits quand les sociétés vont bien, mais qui s’accrochent aux entreprises qui déçoivent. Peter Lynch (un autre investisseur professionnel vénéré) compare justement ce comportement à couper les fleurs et donner de l’eau aux mauvaises herbes.” (6)
Pour cela, il faut savoir être patient. Et bien comprendre que “c’est seulement dans les présentations des banques d’investissement que les revenus augmentent pour l’éternité.” Dit autrement, Buffett sait que certains de ses investissements vont varier en valeur et ne vont pas monter tous les ans. En revanche, il “ne se préoccupe pas des dos-d’ânes ; ce qui compte ce sont les résultats sur le long terme.”
Se méfier des nouveautés et des phénomènes modes
Buffett a évité l’éclatement de la bulle internet, car il n’arrivait pas à réconcilier l’enthousiasme débordant des investisseurs, avec les résultats financiers faibles, voire négatifs de nombreuses start-ups dans le domaine. Dans sa lettre de 1994 il précise : “Avant d’analyser de nouveaux investissements, nous considérons de renforcer nos vieux placements. Si une société est suffisamment attractive pour que nous y ayons investi une première fois, cela pourrait être profitable de répéter le processus.”
Par conséquent, Buffett investit plutôt dans des industries et des secteurs faciles à comprendre. En 2001, il explique ses investissements de l’année précédente : “Nous sommes entrés dans le 21ème siècle en prenant des positions dans des industries de pointe, comme la brique, les tapis, l’isolation et la peinture. Essayez de contrôler votre excitation.”
La lettre 2020 de Warren Buffett décryptée
Vous l’aurez compris, nous en sommes fans. Donc nous vous conseillons de la lire. Mais s’il fallait retenir trois enseignements de sa dernière missive, les voici.
Une période difficile à venir pour les investisseurs en obligations
Buffet prévient que les investisseurs en titres de dette font face à un “futur sombre” (“bleak future”). Du haut de ses 90 ans, il recommande de se tenir à l’écart du marché obligataire, dans un contexte où la croissance économique pourrait s’accélérer, et stimuler un retour de l’inflation.
Buffett croit en lui-même
Il a annoncé avoir utilisé un peu moins de 9 milliards de dollars de la gigantesque pile de cash dont Berkshire Hathaway dispose, pour racheter ses propres actions. Cela lui laisse toujours la modique somme de 138,3 milliards pour effectuer des investissements futurs, mais démontre en même temps qu’il estime qu’au cours de bourse actuel, les actions de Berkshire sont attractives.
Buffett croit toujours en l’Amérique
Pour une société aussi vaste que Berkshire, Warren Buffett n’a que très rarement déployé des fonds à l’étranger, et s’est largement concentré sur l’achat d’actions américaines. Selon lui, “dans sa brève histoire de 232 ans d’existence, il n’y a pas de meilleur incubateur pour libérer le potentiel humain”. Aux Etat-Unis, le progrès économique a été tout simplement “époustouflant.” Il a donc réitéré sa conviction qu’il ne faut jamais “parier contre l’Amérique”.
(1) “When you do receive a communication from us, it will come from the fellow you are paying to run the business. Your Chairman has a firm belief that owners are entitled to hear directly from the CEO as to what is going on and how he evaluates the business, currently and prospectively.” (2) “Managers thinking about accounting issues should never forget one of Abraham Lincoln’s favorite riddles: “How many legs does a dog have if you call his tail a leg?” The answer: “Four, because calling a tail a leg does not make it a leg.” (3) “When Charlie and I finish reading the long footnotes detailing the derivatives activities of major banks, the only thing we understand is that we don’t understand how much risk the institution is running.” (4) “Be fearful when others are greedy, and greedy when others are fearful.” (5) “Don’t ask a barber if you need a haircut.” (6) “Our favorite holding period is forever. We are just the opposite of those who hurry to sell and book profits when companies perform well but who tenaciously hang on to businesses that disappoint. Peter Lynch aptly likens such behaviour to cutting the flowers and watering the weeds.” (7) "Only in the sales presentations of investment banks do earnings move forever upward." (8) "Only in the sales presentations of investment banks do earnings move forever upward." (9) “Before looking at new investments, we consider adding to old ones. If a business is attractive enough to buy once, it may well pay to repeat the process.” (10)"We have embraced the 21st century by entering such cutting-edge industries as brick, carpet, insulation and paint. Try to control your excitement." (11) “In its brief 232 years of existence, however, there has been no incubator for unleashing human potential like America”
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