Alors que le débat autour du système de retraites alimente la grogne sociale, l’inégalité entre les plus fortunés et les masses est un sujet brûlant. L’inflation reste élevée, et ronge le pouvoir d’achat des Français, le sentiment que les inégalités s’accentuent est omniprésent. Mais est-ce la réalité ? La “fracture sociale” est-elle à ce point béante en France ?
L’indice de Gini
L’un des indicateurs “star” de la statistique économique
De très nombreuses études se sont penchées sur la question des inégalités. Notre approche dans cet article n’est pas de les aborder toutes, mais plutôt de proposer une lecture simple du problème.
Nous nous focaliserons donc ici sur l’indice de Gini, du nom de son inventeur, le statisticien italien Corrado Gini. Il s’agit encore aujourd’hui d’une des références sur le sujet.
L’avantage de cet indice est qu’il est relativement facile à comprendre et qu’il est régulièrement calculé pour les grands pays du monde, depuis longtemps.
Le coefficient de Gini varie entre 0 et 1. Zéro correspondant à une égalité parfaite, un société dans laquelle tout le monde gagne exactement le même salaire. À l’inverse, un score de un indique une inégalité extrême, où sur une population donnée, une seule personne gagnerait la totalité des revenus.
Par exemple, si la moitié des personnes les moins fortunées ne recevaient pas de salaire et que les 50 % les plus aisés se répartissent les revenus restants de façon égale, alors l’indice de Gini serait égal à 0,5. Dit plus simplement, on mesure la concentration (ou la dispersion) de la richesse dans la population.
Le lien entre l'indice de Gini et la courbe de Lorenz
Vous pouvez sauter ce paragraphe si vous voulez. Mais pour les curieux, il est pertinent de comprendre le lien entre le coefficient de Gini et la courbe de Lorenz. Cette courbe représente graphiquement la répartition d'une variable. On peut ainsi s'en servir pour illustrer la distribution du revenu ou du patrimoine au sein d'une population donnée.
Ci-dessous un exemple de courbe de Lorenz, qui nous permettra d'expliquer comment elle fonctionne :
Dans ce graphique (fictif), l'axe des abscisses montre le pourcentage total de la population. Celui des ordonnées représente le pourcentage cumulé des revenus. La courbe verte représente la courbe de Lorenz et la droite bleue représente la droite dite d'équidistribution.
La droite d'équidistribution représente la distribution parfaitement égalitaire de la variable que le graphique illustre (par exemple les revenus, les salaires, le patrimoine) dans la population. Elle ne sert que de référence, sachant que plus la courbe de Lorenz (verte) s'écarte de la droite d'équidistribution, plus cela signifie que la distribution de la variable sur la population est inégalitaire.
En termes plus mathématiques, la pente de la droite d'équidistribution est égale 1.
Avec ces explications, l'interprétation de la courbe de Lorenz devient plutôt simple. Dans l'exemple ci-dessus, voici ce que nous pouvons en déduire :
- Les 50% de la population les plus pauvres ne perçoivent que 5% du revenu total.
- Cela signifie que la moitié de la population qui est la plus riche reçoit 95% des revenus.
L’évolution de l’indice de Gini en France
Il est… stable !
L’INSEE vient de publier les statistiques sur les inégalités pour l’année 2020. En France, l’indice de Gini ressort à 0,29, ce qui est légèrement en dessous de la moyenne Européenne de 0,30. Cela veut dire que la France est légèrement plus égalitaire que la moyenne européenne. L’Espagne et l’Italie le sont un peu moins avec des indices de Gini aux alentours de 0,33, la Pologne l’est un peu plus.
Et contrairement à ce qui peut être dit (ou ressenti), le coefficient est resté relativement stable depuis de longues années, en France comme en Europe d’ailleurs. Ce qui est LOIN d’être le cas sur tous les continents.
Où est-ce que les inégalités sont les plus fortes ?
Parmi les grands pays, l’Afrique du Sud détient la palme du pays le moins égalitaire au monde, avec un coefficient de Gini de 0,63.
Par ailleurs, contrairement à ce qu’on observe en France, il a récemment augmenté dans plusieurs pays anglo-saxons. Ainsi, de 2002 à 2022, il est passé de 0,38 à 0,40 aux US et de 0,36 à 0,37 au Royaume-Uni. Non seulement les inégalités de revenus étaient déjà beaucoup plus importantes Outre-Manche et Outre-Atlantique que dans la zone Euro, mais l’écart entre les riches et les pauvres s’est carrément creusé.
Aux États-Unis, l’augmentation des inégalités s’illustre de façon très parlante. La proportion du patrimoine national détenue par les 1% les plus fortunés est passée de 30 à 34% en vingt ans. Sur la même période, pour la zone euro, les chiffres sont de 24 et 25% respectivement.
Est-ce trop ? On peut en débattre, mais il n’y a pas de doute sur le fait que les sociétés européennes sont plus égalitaires que les anglo-saxonnes.
L'inégalité est-elle une bonne ou mauvaise chose ?
La question peut sembler naïve, voire choquante. Mais selon certains chercheurs, dont notamment des Think-tank ultra-républicains américains, les inégalités de revenus stimulent l’innovation et donc la croissance. Pour le dire en termes simples, selon cette théorie, les pauvres ne veulent typiquement pas le rester, et il vont donc multiplier les efforts pour améliorer leur situation.
Ceci dit, la majorité des économistes et les pouvoirs publics en France, et en Europe, estiment que de trop grandes inégalités de revenus nuisent à la cohésion sociale et, de façon générale, à la croissance économique.
La redistribution de la richesse en Europe
C’est la redistribution de la richesse qui peut expliquer un coefficient de Gini plus favorable en France qu’aux US ou qu’au Royaume-Uni. Cette redistribution se fait à travers un ensemble de politiques publiques, budgétaires et fiscales. Pour faire simple, les impôts et cotisations prélevés auprès des foyers fiscaux à hauts revenus servent à assurer des prestations sociales, comme les allocations chômage et les allocations logement (entre autres), à destination des foyers qui en ont besoin.
C’est ce qui explique que l’impôt soit progressif et augmente avec le revenu du contribuable. En France, 70% des recettes de l’impôt sur le revenu proviennent des 10% des ménages les plus fortunés.
Et la redistribution fonctionne dans la pratique puisque, selon la Banque de France, 65% des minimas sociaux bénéficient aux 10 % les moins aisés. Elle permet de réduire les écarts de revenus entre les catégories fortunées et populaires. Toujours selon la Banque de France, elle fait passer le nombre de Français vivant en dessous du seuil de pauvreté de 22% à 14%.
Pourquoi le sentiment d’inégalité augmente ?
Pour conclure, sur la simple base de l’indice de Gini, force est de constater que les inégalités ne semblent pas avoir augmenté en France. Néanmoins, l’argument que les écarts se creusent est très répandu dans le débat public. Comment expliquer ce paradoxe ?
La réponse est loin d’être évidente. Deux pistes méritent d’être creusées, liées aux limites de cet indicateur statistique : tout d’abord, un coefficient Gini relativement faible n’exclut pas une polarisation forte entre les extrêmes, combinée à une vaste classe moyenne, globalement égalitaire… D’autre part, ce coefficient ne mesure pas le niveau des richesses globales de la société. Dans une période de faible croissance économique, voire de récession, les inégalités deviennent souvent plus visibles et donc moins acceptables socialement.
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