Les banques européennes enclenchent la consolidation

Oct 3, 2024

Sans prévenir, la banque italienne Unicredit s’est invitée chez sa rivale allemande Commerzbank, pour en devenir l’actionnaire principal en quelques jours. La possibilité d’une acquisition n’est pas exclue. Serait-ce le début de la consolidation bancaire en Europe tant attendue ? Et si oui, est-ce une bonne chose ?

Une prise de participation éclair

Revenons d’abord sur les faits, et les manœuvres entreprises par Unicredit pour prendre des parts chez Commerzbank. 

Une participation de 9% … du jour au lendemain

L’approche a été très bien pensée et s’est déroulée en trois étapes, mûrement réfléchis par le PDG d’Unicredit, Andrea Orcel, ancien banquier d’affaires de Merrill Lynch et d’UBS, spécialiste en … fusions et acquisitions bancaires.

Dans un premier temps, Unicredit ramasse des actions de Commerzbank petit à petit, sans faire de bruit, en bourse. Elle se constitue une participation de 4,5% environ. Elle prend soin de rester en dessous du seuil de 5%, qui l'aurait obligé à déclarer sa participation publiquement.

Puis, la banque italienne profite de la vente par le gouvernement allemand d’une partie de sa participation dans Commerzbank. 

Pour rappel, lors de la crise financière de 2008, le gouvernement allemand - comme bon nombre d’autres gouvernements, dont celui de la France - est intervenu pour sauver ses grandes banques, dont certaines étaient au bord du gouffre. Commerzbank fait partie de celles qui recevront d’importantes injections de capitaux frais pour rester à flot.

Depuis, les banques se sont assainies, et sont redevenues profitables, tout en gagnant en robustesse. En toute logique, le gouvernement allemand procède donc régulièrement à la réduction de sa participation, par le biais de ventes de tranches d’actions.

Typiquement, ces ventes de paquets d’actions se font à un prix légèrement en dessous du dernier cours de bourse, l’arrivée massive d’un grand nombre d’actions sur le marché étant de nature à gonfler l’offre et peser sur le cours de bourse. 

À la dernière occasion, Unicredit a soumis une offre pour la totalité du paquet d’actions mis en vente par le gouvernement allemand, représentant 4,5% de Commerzbank, à un prix légèrement supérieur au dernier cours de bourse. Ce qui lui a permis de tout rafler, à un prix attractif.

En effet, lorsqu’une entreprise tente de prendre le contrôle d’une autre, elle doit typiquement payer bien plus que le cours actuel de l’action de la cible. Cela correspond à la “prime de contrôle”. Dans le cas présent, Unicredit n’a certes pas (encore) pris le contrôle de Commerzbank, mais l’intention est claire. Le cours de l’action de Commerzbank a d’ailleurs bondi de 17% dans la foulée de cette seconde étape … hausse à côté de laquelle est passée le gouvernement allemand !

Du jour au lendemain, Unicredit déclare posséder 9% de Commerzbank.

Deux opérations dérivées, pour passer à 20%

Mais le chasseur ne s’arrête pas là. Unicredit conclut dans la foulée deux opérations (avec la Barclays et Bank of America respectivement) par lesquelles elle s’assure de pouvoir prendre livraison de presque 12% de plus de Commerzbank, dans les deux années à venir.

En procédant de la manière, Unicredit respecte la réglementation en vigueur, qui soumet toute participation dans une grande banque européenne de plus de 10% à l'approbation préalable de la Banque Centrale Européenne.

En effet, Unicredit ne détient pas aujourd’hui les 12% supplémentaires de Commerzbank. Mais grâce à ces transactions dîtes “dérivées”, elle s’est fixée le prix auquel elle sait qu’elle peut prendre livraison de ces actions supplémentaires, dans un délai de 2 ans. Ce qui devrait suffire pour obtenir l’accord des autorités européennes.

Et voici comment Unicredit est devenu le principal actionnaire de sa cible avec 21% de son capital. 

Ces achats stimulent le cours de bourse de Commerzbank qui a pris plus de 20% depuis le 10 septembre dernier.

Source : Google Finance

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Les banques européennes trop petites

On pourrait se demander quel intérêt Unicredit a de se lancer à l’assaut d’une de ses concurrentes allemandes. Ou plus largement, pourquoi les banques européennes pourraient vouloir fusionner entre elles. Ne sont-elles pas déjà suffisamment grandes ?

Elles peuvent paraître très grosses, mais dans la réalité, elles se sont déjà faites  dépasser par leurs principales concurrentes américaines et chinoises. Si vous prenez les 10 plus grosses banques européennes, dont font partie BNP Paribas en France ou encore la banque Santander en Espagne, elles sont - ensemble - plus petites que JP Morgan, la plus grosse banque américaine. 

Toujours à titre d’illustration, les 50 banques européennes les plus importantes en taille ne font pas la taille de 5 plus grandes institutions bancaires américaines.

Or dans le domaine bancaire, l’effet de taille est crucial pour pouvoir accompagner les plus grosses entreprises dans leurs activités mondiales et pour amortir des coûts fixes très importants.

Une consolidation sans doute transfrontalière

La consolidation bancaire au niveau national est complexe. À l’échelle de la France, une fusion entre deux des six grands réseaux bancaires (par exemple entre BNP Paribas et le Crédit Agricole) donnerait lieu à des concentrations sans doute trop fortes, qui pourrait faire craindre un manque de concurrence. 

C’est pourquoi, pour les grandes opérations, des acquisitions ou des fusions transfrontalières seront nécessaires. C’est en tous les cas ce que préconise, entre autres, le rapport Draghi, du nom de l’ancien président de la BCE, auteur du rapport sur la compétitivité de l’Europe face à ses concurrents américain et chinois notamment.

Commerzbank est-elle vouée à se faire avaler ?

La résistance initiale est forte

De nombreux décideurs politiques allemands ont exprimé leur mécontentement et leurs craintes face à l’arrivée surprise d’Unicredit au sein d’une des grandes enseignes bancaires allemandes. Ils y voient un potentiel affaiblissement de l’accès au crédit pour les PME allemandes. Selon eux, en cas d’acquisition, la prise de décision sur les prêts aux clients allemands se déplacerait de Francfort à Milan. 

Mais dans la pratique, ils ne disposent pas de moyens pour s’y opposer.

Les syndicats ont clairement exprimé leur opposition à une fusion, qui entraînerait sans doute une réduction des effectifs. Mais, à ce stade, ils ne peuvent pas aller bien plus loin, non plus. Et une fusion entre les deux champions locaux Commerzbank et Deutsche Bank, dont on parle depuis longtemps, serait bien plus sanglante en termes de plans sociaux.

Enfin, la direction de Commerzbank a signalé sa conviction qu’une fusion ne serait pas souhaitable. Selon eux, le futur de Commerzbank sans Unicredit serait plus rentable pour ses actionnaires, et meilleur pour l’Allemagne, dans le long terme. Mais si le futur indépendant de Commerzbank était si favorable, pourquoi ne pas l’avoir expliqué avant ?  

Le chasseur devra être patient

Unicredit n’est pour autant pas certain d’emporter le morceau. Tout d’abord, il lui faudra obtenir l’aval du régulateur européen, ne serait-ce que pour pouvoir prendre livraison des actions qu’elle a contractuellement sécurisées et ainsi monter à 21% au capital.

La BCE ayant, à de nombreuses reprises, indiqué être en faveur de la consolidation bancaire, cette approbation est probable. Mais elle peut prendre du temps.

Ensuite, le gouvernement allemand détient toujours 12% de Commerzbank et a annoncé mettre en pause (indéfiniment) son programme de vente d’actions. 

Il va donc falloir qu’Andrea Orcel et ses équipes multiplient les échanges avec la direction de Commerzbank et ses autres actionnaires (dont le gouvernement allemand) pour les convaincre du bien fondé de leur projet.

C’est donc une affaire à suivre, et qui, quelqu’en soit l’issue, prendra sans doute du temps.

Une consolidation bancaire plus large en Europe

La manœuvre initiée par Unicredit pourrait déclencher d’autres opérations de ce type, surtout si elle se conclut par la prise de contrôle de Commerzbank par la banque italienne. 

D’abord parce que, comme évoqué plus haut, cette consolidation face aux géants américains et chinois fait sens. Et pour s’en rendre compte, les PDG des banques européennes n’avaient pas besoin de ce “cas pratique”. Ils le savent depuis longue date.

Mais la réalisation concrète d’une première opération de ce type établirait un puissant “précédent”. Si une banque italienne peut acheter une banque allemande, qui pourrait interdire à une banque espagnole d’acquérir un concurrent français ou néerlandais ?

D’ailleurs, le contexte politique à ce sujet a quelque peu évolué. Interrogé à ce sujet il y a plusieurs semaines, le président Macron avait indiqué être ouvert à la consolidation bancaire, même si celle-ci devait se manifester par l’acquisition d’une banque française par une banque étrangère.

Enfin, les valorisations boursières des banques européennes cotées en bourse restent abordables. Pour bon nombre d’entre elles, leurs actions s’échangent en dessous de la valeur comptable nette de l’institution en question. 

Les banques les mieux valorisées pourraient donc s’intéresser à des concurrentes dont les cours de bourse sont plus décotés. Parmi les chasseurs potentiels, le français BNP Paribas, le néerlandais ING et l’espagnol Santander sont souvent pointées du doigt.

Les proies potentielles sont quant à elles typiquement des banques de taille moyenne, qui n’ont plus de présence mondiale et/ou qui n’offrent plus de services universels, allant de la banque de détail à la banque de marché. Dans cette catégorie, les noms de la Société Générale en France, ou d’ABN aux Pays-Bas, sont régulièrement mentionnés. 

À suivre …

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