Aujourd’hui, une baguette coûte en moyenne 90 centimes en France. Mais la guerre en Ukraine risque fortement de changer la donne, car elle oppose deux des plus gros exportateurs de blé dans le monde. L’approvisionnement en céréales pourrait soudainement se tarir, faute de moyens logistiques, ou suite aux nombreuses sanctions économiques que s’imposent les deux camps. Quelles conséquences pour le monde ?
Qui détermine le prix du blé ?
L’Ukraine est un grand pays céréalier. La Russie aussi. Ensemble, les deux pays produisent 30% du volume de blé exporté dans le monde. Pour le dire autrement, il y a de grandes chances que la farine ukrainienne ait pu servir à fabriquer une partie des pâtes dans vos placards. Lorsque vous coupez brutalement le monde de 30% de son approvisionnement en blé, cela a des conséquences majeures.
Les exportations ukrainiennes et russes menacées
Même si cela peut paraître évident, précisons d’emblée pourquoi nous pouvons craindre la réduction drastique des quantités de blé en provenance de ces deux pays.
Tout d’abord, les ports Ukrainiens majeurs sont tous fermés. Plusieurs ont été ravagés par les bombardements russes et/ou sont dorénavant occupés. Le port d'Odessa (qui héberge les plus gros silos à grains du pays) se prépare à être attaqué dans les prochains jours. Dans ce contexte de guerre, l’exportation du blé déjà récolté est stoppée.
En outre, tant que la guerre dure, il sera compliqué, voire impossible, de s’occuper de la culture du blé, c’est-à-dire sa plantation et sa récolte. Cela met naturellement en péril la production future.
Enfin, la Russie et son allié la Biélorussie sont parmi les plus grands producteurs d’engrais au monde. Or, le ministère de l’Industrie et du Commerce russe vient de recommander que les producteurs d’engrais cessent leurs exportations. L’absence d’engrais ne fera qu’aggraver les conditions futures de cultivation du blé.
La loi de l’offre et de la demande
La crainte — justifiée — d’une réduction de l’offre sur les marchés internationaux a eu l’effet que vous imaginez. Le prix du blé s’est envolé. Comme toujours, selon la loi de l’offre et la demande, plus un bien est rare, plus il est cher.
Et si le coût de la matière première principale de nombreux aliments augmente, cela impactera nécessairement le prix de ces aliments. Comme par exemple celui de la baguette, mais aussi celui des pâtes, des céréales etc.
Le prix du blé explose
La bourse de Chicago fixe le prix du boisseau
Le prix du blé s’établit principalement à Chicago, où la Chicago Mercantile Exchange s’est spécialisée dans les échanges de matières premières. On peut y acheter et vendre du jus d’orange, des porcs maigres, du cacao et de nombreux féculents, comme le maïs, le riz, et… le blé.
Pour être précis, les traders y échangent des quantités standardisées de commodités alimentaires, sous forme de contrats à terme. Dans la cas du blé, le contrat standard représente 5 000 boisseaux de blé.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le prix du blé échangé à la bourse de Chicago a bondi de plus de 50%. Vendredi dernier, le prix du boisseau était de 13,40 Dollars, contre 7,50 Dollars au début de l’année.
Un bond qui ne fait qu’accentuer une hausse déjà entamée
Le pic récent suit une hausse progressive du prix du blé depuis 2017. À l’époque, le boisseau s’échangeait à moins de 4 Dollars. Récemment, cette hausse s’est accélérée, notamment sous l’effet des disruptions dans la chaîne d’approvisionnement durant la pandémie.
Quel impact sur le prix de la baguette ?
La France produit son propre blé
La France a la chance d’être elle-même un grand pays céréalier. Nous sommes exportateurs de blé tendre. Sur la récolte de 2020/21, 13,4 millions de tonnes de blé français ont été vendues à l’étranger. L’Algérie, le Maroc et la Chine figurent parmi nos acheteurs principaux.
Nous ne risquons donc pas de manquer de blé, et devrions être capables de produire ce que nous consommons quotidiennement, soit une demi-baguette par personne en moyenne. En revanche, en l’absence du fournisseur ukrainien, nos agriculteurs verront sans doute la demande pour leur blé augmenter. Et, de façon parfaitement rationnelle, le vendront à des prix plus élevés. Pour le consommateur français, cette hausse se répercutera naturellement sur le prix de la vie.
Des solutions de substitution peu crédibles
Dans un contexte où l'inflation des prix alimentaires s’accélère, on pourrait penser à remplacer le blé par d’autres féculents. Mais c’est loin d’être si simple : les machines de production de toutes sortes sont calibrées pour certains types de blé. Et les habitudes alimentaires aussi ! Nous ne voyons pas la galette de riz remplacer le croissant du jour au lendemain.
Par ailleurs, les prix d’autres céréales sont également partis à la hausse. Depuis le début de la guerre, le prix du maïs a grimpé de plus de 10% par exemple.
Les pays importateurs durement touchés
La demande étrangère accrue proviendra notamment des pays importateurs de blé, clients historiques de l’Ukraine. Grâce au Financial Times et à l’International Trade Center, nous pouvons graphiquement illustrer ce point.
Le constat est tristement simple : ce sont les pays relativement pauvres qui seront le plus durement impactés. Le blé ukrainien représente 90% de l’approvisionnement du Liban. L’Ukraine est également le principal fournisseur de la Libye, la Somalie et la Syrie.
Souvenons-nous que la dernière fois que les prix du blé ont flambé, les conséquences sociales et politiques étaient tangibles. C’était en 2009 et 2010, et cela a contribué — et certains diraient même que cela a déclenché — le printemps Arabe.
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