L’investisseur extraordinaire et drôle, aux principes simples, clairement expliqués
Mardi dernier, Charlie Munger, l’acolyte vif et cyniquement drôle de Warren Buffett, est décédé à l’âge de 99 ans. Aux côtés de la légende Buffett, qu’on appelle le Sage d’Omaha, Charlie Munger a construit Berkshire Hathaway, un géant de l’investissement et de l’assurance qui pèse presque 800 milliards en Bourse.
Nous lui faisons hommage pour son approche ultra-rationnelle de l’investissement, qu’il avait pour habitude d’expliquer de façon claire, sans jargon et - souvent - avec un peu d’humour.
Charlie Munger : le lieutenant indissociable de Warren Buffett
Des deux associés, Warren Buffett est sans doute le plus connu. Mais celui-ci reconnaît volontiers le rôle crucial que Charlie Munger a joué pendant les décennies où les deux hommes ont collaboré.
Leur entreprise, “Berkshire Hathaway n’aurait pas atteint son statut actuel, sans l’inspiration, la sagesse et la participation de Charlie Munger”, a déclaré Warren Buffett. Son décès fait la une du vénérable Financial Times.
Une association historique
Charlie Munger a grandi à Omaha, une ville de l’État du Nebraska, très loin de Wall Street, mais à quelques centaines de mètres de là où grandit son futur associé Warren Buffett. Après des études en météorologie, et un service militaire durant la seconde guerre mondiale, il obtient un diplôme de la prestigieuse école de droit d’Harvard et devient avocat.
Les deux hommes se rencontrent en 1959, quand Munger a 35 et Buffett 28 ans. Après que Buffett lui explique à de nombreuses reprises que “le droit, c’est parfait comme hobby”, mais qu’il pouvait faire mieux, Munger décide de se consacrer à l’investissement.
D’abord de façon indépendante, en fondant la société d'investissement Wheeler, Munger & Company. Cette société réalise un rendement moyen de 24,3% par an entre 1962 et 1975, à comparer avec un rendement moyen de 6,4% pour l’indice Dow Jones sur la même période. Une sur-performance extra-ordinaire.
Munger décide de rejoindre le conseil de surveillance de Berkshire Hathaway en 1978, ce qui marque le moment où la collaboration entre les deux investisseurs se formalise. Une des associations les plus fructueuses de l’histoire, car depuis 1965, Berkshire affiche un rendement annuel composé de presque 20%, soit le double de la performance de l’indice S&P500.
Aujourd’hui, leur société est valorisée à presque 800 milliards de Dollars.
Les mégots de cigare de Warren Buffett
Les deux hommes ont une approche fondamentale de l’investissement qui se rejoint, fondée sur la recherche de valeurs temporairement ignorées ou sous-estimées par le marché. Mais initialement leurs tactiques diffèrent.
Warren Buffett est initialement connu pour son approche d'investissement axée sur les "cigar butts" (mégots de cigare). Cette stratégie tire son nom de l'idée que certaines entreprises, typiquement en situation de difficulté, sont comme des mégots de cigare jetés, apparemment sans valeur, mais qui peuvent encore offrir une bouffée de profits.
Buffet se spécialise dans l'identification et l’investissement en actions sous-évaluées d'entreprises dont le marché ne reconnaît pas la valeur intrinsèque. Il recherche des sociétés dont le cours de bourse est temporairement déprimé en raison de problèmes passagers ou d’une mauvaise presse, mais dont les fondamentaux restent solides.
Il a ainsi accumulé une position significative dans American Express quand ce fournisseur de cartes de crédit est impliquée dans une affaire de fraude en 1963. Une fois la poussière retombée, l’attractivité fondamentale du modèle d’affaires de la société est à nouveau reconnue par l’ensemble du marché. Logiquement, le cours de bourse d’American Express repart à la hausse … et les positions prises par Warren Buffett au plus bas, gagnent en valeur.
La vision de Charlie Munger
L’influence fondamentale de Charlie Munger sur Warren Buffett a été de le convaincre d’ajuster son approche d’investissement. Dans les mots du Sage d’Omaha lui-même, dans sa lettre aux actionnaires de 2015 : “Le programme qu’il m’a donné fut simple : oublies ce que tu sais sur l’achat d’entreprises solides à des prix extra-ordinaires, achètes donc des entreprises extra-ordinaires à des prix honnêtes.”
Et c’est ainsi que Berkshire Hathaway a commencé à investir et même racheter des entreprises parfaitement rentables. La société est aujourd'hui un actionnaire de référence de Coca Cola, Bank of America et Apple, et propriétaire, entre autres, de l’assureur Geico, la compagnie de chemin de fer BNSF, la société de location de jets privés NetJets et le plus gros constructeur de maisons aux US, Clayton Homes.
Au total, la société Berkshire Hathaway et les nombreuses entreprises qu’elle possède emploie plus de 380 000 personnes dans le monde.
Les rockstars de l’investissement
Les deux fondateurs de Berkshire Hathaway sont devenus très riches. La fortune de Charlie Munger était estimée par Forbes à 2,6 milliard de Dollars. Son compère, qui possède plus de 15% de Berkshire, pèse plus de 100 milliards de Dollars, ce qui fait de Warren Buffett un des hommes les plus riches du monde.
Mais au-delà de ces fortunes personnelles impressionnantes, deux éléments ont fait des deux professionnels de la finance de véritables rockstars, adulés par des dizaines de milliers de fans inconditionnels.
Premièrement, par leur stratégie d’investissement, Buffett et Munger ont su délivrer des performances financières très largement positives à leurs actionnaires investisseurs, dans les bons comme dans les mauvais environnements de marché. La régularité de leur sur-performance par rapport aux indices de marché et à travers les cycles financiers, sur plusieurs décennies, est inégalée.
Deuxièmement, les deux investisseurs ont toujours été très transparents sur leurs idées de placement, leurs succès mais aussi sur leurs erreurs. Fans de clarté et de langage simple, ils ont tenu à partager leurs techniques, sans jargon, avec leurs actionnaires. Et en se faisant, ils ont attiré de très nombreux admirateurs et de “followers”. Dont des dizaines de milliers d’épargnants et de petits actionnaires qui faisaient annuellement leur pèlerinage à la ville d’Omaha pour assister à la réunion annuelle de Berkshire Hathaway, afin d’avoir l’opportunité de poser une ou deux questions aux deux dirigeants. Qui ont toujours usé de cette opportunité pour dénoncer quelques pratiques qu’ils estimaient douteuses ou critiquables, avec un certain humour cynique.
Les très nombreuses déclarations et perles de sagesse nous permettent d’ailleurs de revenir sur quelques conseils d’investissement, parfaitement pertinents aujourd’hui, de façon ludique.
Quelques conseils d’investissement, exprimés simplement (et avec humour)
Toujours être rationnel et calme
Pour préserver le ton de l'inimitable Charlie Munger, nous avons gardé ses citations dans la langue de Shakespeare, en vous proposant une version en français, librement traduite ensuite.
Munger était un grand fan de la réflexion et du calme, dans un milieu où les fluctuations des cours de bourse, les crises et les corrections se succèdent, et sont souvent source d’inquiétude et de panique. Sa suggestion : toujours rester calme, ou, dans ses propres mots :
"Great investors are always very careful. They think things through. They take their time. They're calm. They're not in a hurry. They don't get excited. They just go after the facts, and they figure out the value."
C’est-à-dire, les grands investisseurs sont toujours très prudents. Ils réfléchissent. Ils prennent leur temps. Ils sont calmes. Ils ne sont pas pressés. Ils recherchent les faits, et ils déterminent là où il y a de la valeur.
Être patient
Les bonnes opportunités d’investissement sont rares. Et si vous n’avez pas envie ou le temps de consacrer énormément d’énergie à évaluer les alternatives de placement, le plus simple est probablement d’investir tout simplement dans le marché dans sa totalité (via des fonds indiciels ou des ETFs).
Mais si vous voulez prendre en main votre portefeuille, et investir par vous-même, sachez être patient. Car ces opportunités sont rares, et les “coups” boursiers ou en crypto, où des gains rapides sont quasiment assurés, sont dangereux. Mais lorsqu’enfin une bonne opportunité se présente, il ne faut pas hésiter à croire en ses convictions.
Toujours selon Munger : "If you want to be a good investor, you have to have a long-term perspective. You have to be willing to be very patient and wait for the right pitch. And when you get the right pitch, you have to be ready to swing hard. You can't just take a little teeny tiny swing. You have to swing with all your might."
Ou en français, si vous souhaitez être un bon investisseur, vous devez prendre une perspective à long terme. Vous devez pouvoir être très patient et attendre la bonne opportunité. Et quand cette bonne opportunité se présente, vous devez être prêt à frapper fort. Vous ne pouvez pas taper un tout petit coup. Vous devez frapper de toutes vos forces.
La puissance des intérêts composés et le pouvoir du temps
Épargner c’est mettre de côté. Placer son argent en espérant réaliser des gains rapides en quelques jours voire en quelques heures, c’est du trading ou de la spéculation. L’investissement est une activité à long terme, qui se compte en années.
Car il faut laisser le temps faire son travail. C’est avec le temps que les investissements délivrent des gains (sous forme d’intérêts ou sous forme de dividendes par exemple), qui, réinvestis, produiront des intérêts et des dividendes en leur temps. Cela fera boule de neige, ou, pour utiliser un terme financier plus technique, cela produira des intérêts composés.
Par ailleurs, l’achat et la vente de produits financiers engendre presque toujours des coûts. Pensez à la vente de votre appartement pour acheter une maison plus grande et avec un jardin. Entre les frais de notaire, les frais juridiques et les commissions d’agence, les frais transactionnels peuvent rapidement représenter plusieurs pourcents de la valeur des biens immobiliers. En investissement, c’est pareil, les frais de transaction rongent considérablement la rentabilité nette.
Comme le dit Munger : "The big money is not in the buying and the selling, but in the waiting."
Tout simplement : les gains importants ne sont pas dans l’achat et la vente, ils sont dans l’attente.
Et Charlie Munger sait de quoi il parle. Un investisseur qui aurait eu la bonne idée d’acheter une action de Berkshire Hathaway en 1965 (l’année où Warren Buffett a pris le contrôle de la société), l’aurait acquis à 19 Dollars pièce. Aujourd’hui une action de Berkshire Hathaway vaut … 547 050 Dollars. Ce qui représente un retour sur investissement de 2 879 210% ! Cent Dollars investi en 1965 en vaudraient 2,9 million environ aujourd’hui.
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