De nombreux investisseurs essaient de se donner un maximum d’avantages pour sélectionner les meilleurs placements. Parmi les techniques employées, certains suivent de près les transactions effectuées par les “initiés”, c’est-à-dire par les dirigeants d’entreprises. Pourquoi, et est-ce efficace ?
Suivre les initiés afin d’anticiper l’évolution des cours de bourse
Qui sont les initiés ?
Dans le langage courant, un “initié” désigne celui ou celle qui est dans le secret, qui dispose d’informations privilégiées. Dans un contexte boursier, l’initié est une personne qui occupe des responsabilités importantes par lesquelles il ou elle a accès à des informations confidentielles sur la santé financière et la stratégie de l’entreprise. Dans un société cotée type, cela inclut typiquement son PDG et les autres membres de la direction générale, dont notamment le directeur financier. On peut également y ajouter les membres du conseil d’administration ou de surveillance.
Les initiés peuvent souvent aussi directement influer sur les affaires de l’entreprise.
Pour illustrer ce qui précède, sachez que ce sont souvent les directeurs généraux d’entreprises qui initient, avec le soutien du directeur de la stratégie et du directeur financier, des projets d’acquisition ou de restructuration. Ces projets, lorsqu’ils sont mis à exécution, ont généralement un impact significatif sur la taille, la structure financière et/ou la nature des activités de la société. Et donc sur son cours de bourse.
Pour résumer, les initiés sont des personnes qui disposent d’informations confidentielles et qui, dans la plupart des cas, peuvent aussi initier des initiatives stratégiques susceptibles d’influer sur le positionnement de l’entreprise dans son ensemble.
Pourquoi suivre les transactions des initiés ?
La technique qui consiste à tracker les transactions boursières des initiés est évidemment focalisée sur les achats et les ventes d’actions de leur propre société. Le fait que le PDG de Microsoft achète des actions de Coca Cola n’a pas de grande valeur (car il n’y a aucune raison de penser que ce PDG d’une firme technologique possède des informations particulièrement confidentielles sur le fabricant de boissons gazeuses).
Mais le fait de savoir qu’un directeur financier, intimement renseigné sur la santé financière de l’entreprise qui l’emploie, achète des actions de cette société à titre personnel peut être bien plus intéressant. En effet, il est rationnel de penser que si le DAF passe à l’achat, c’est qu’il croît aux perspectives de croissance de sa boite et qu’il estime que la valeur de la société est sous-estimée en bourse.
Inversement, si des initiés (comme le PDG ou le directeur de la stratégie) se mettent à vendre des actions de leur entreprise, c’est peut-être qu’ils anticipent un ralentissement des ventes. Et qu’ils craignent une baisse du cours de bourse dans un futur proche.
Suivre les transactions des initiés
Maintenant que nous comprenons la théorie derrière l’envie de suivre les placements des initiés, posons-nous la question de la méthode. Comment parvenir à savoir quelle directrice financière a vendu ou acheté des actions ?
Une des règles strictes auxquelles ces initiés sont soumis les oblige à déclarer ces transactions (après coup) publiquement. Ces déclarations officielles sont suivies par certains passionnés qui les publient sur des sites internet, afin de permettre aux investisseurs de tenir compte de ces faits dans leurs décisions de placement.
Acheter ou vendre des actions ne constitue pas un délit (d’initiés)
Faisons une petite aparté. Les transactions d’achat ou de vente des initiés n’ont aucun rapport avec le délit d'initiés, qui est répréhensible et interdit par la loi. Une présidente d’une entreprise cotée a parfaitement le droit de vendre les actions qu’elle possède. Ou d’en acheter plus pour renforcer la part de l’entreprise qu’elle détient.
Mais ils n’ont pas le droit d’abuser des informations confidentielles dont ils disposent. Et ces transactions sont donc typiquement très encadrées. Ainsi, selon des règlements internes, les plus hauts cadres de l’entreprise ne sont pas autorisés à vendre ou à acheter des titres de celle-ci pendant les semaines précédant l’annonce de résultats financiers. Cela afin d'éliminer tout soupçon d’abus.
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Ouvrir un livretLes ventes structurellement supérieures aux achats
Pour bien interpréter les données transactionnelles des dirigeants d’entreprises, il faut tenir compte de quelques principes.
Le premier est qu’historiquement les volumes de vente dépassent les volumes d’achat. Autrement dit, les initiés sont naturellement plus vendeurs qu’acheteurs des actions de leurs sociétés. Et cela pour au moins trois raisons, toutes parfaitement légitimes :
Premièrement, il est commun que des entrepreneurs fondateurs liquident progressivement une partie des actions qu'ils détiennent dans leurs sociétés. Car les parts qu’ils détiennent dans leurs entreprises représentent fréquemment une très grande partie - et parfois même la totalité - de leurs fortunes (théoriques). Une des raisons qui les a poussé à coter leurs entreprises en bourse est justement de faciliter les échanges des actions de celles-ci. Et ainsi permettre aux initiés de liquider une partie de leurs parts, au fil de l’eau, afin de les dé-risquer et de diversifier leurs patrimoines, sur-exposés à une seule entreprise.
Ainsi Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook a vendu pour 135 millions de Dollars de Meta en février dernier. Cela est évidemment une somme gigantesque, mais après cette vente, il détient toujours 13,5% de l’entreprise, et reste son premier actionnaire.
Deuxièmement, ces ventes peuvent tout à fait correspondre au désengagement des fondateurs de la société qu’ils ont fondée. À titre illustratif, Jeff Bezos a vendu 50 millions d’actions d’Amazon pour 8,5 milliards de Dollars en février. Mais n’oublions pas qu’il a formellement démissionné de son rôle de PDG en 2021.
Troisièmement, de nombreux dirigeants d’entreprises sont des serial entrepreneurs, et ne cessent de lancer de nouveaux projets. Souvent, ils financent les nouveaux projets, en monétisant une partie de la valeur créée lors d’un projet précédent. Ainsi, le milliardaire Elon Musk a vendu une partie de sa participation dans Tesla pour financer son rachat du réseau social Twitter (renommé X depuis).
Donc pour interpréter les données transactionnelles des initiés, il faudrait comparer les volumes de vente aux volumes d’achat, mais en tenant compte du principe que pour les initiés, les ventes sont naturellement plus élevées que les achats.
Le rapport des ventes par rapport aux achats est en forte hausse
Il s’agit donc d’observer le rapport entre le nombre d’initiés vendeurs et le nombre d’initiés acheteurs de leurs propres actions, et de suivre l’évolution de ce rapport dans le temps. C’est ce que s'est attachée à faire la société Verity. Les résultats de leur analyse, représentés graphiquement par la Financial Times dans le graphique ci-dessous, sont édifiants.
Selon Verity, au 1er trimestre de 2024, les vendeurs étaient 13 fois supérieurs au nombre d’initiés à l’achat. Il s’agit d’un niveau record depuis le 1er trimestre 2021.
On peut justifier cette hausse par le fait que les volumes de vente par les initiés étaient relativement modestes en 2022 et 2023. De nombreux dirigeants ont réduit ou tout simplement arrêté de vendre des actions dans des conditions de marché moins favorables. Et avec la hausse des cours de bourse, certains d’entre eux doivent sans doute “rattraper” un peu du retard pris. Par ailleurs, le premier trimestre, juste après l’annonce des résultats annuels, constitue traditionnellement la fenêtre de tir la plus claire pour les initiés pour procéder à la vente d’actions.
Mais c’est bien le sujet. S’ils sont passés à la vente, c'est qu’ils estiment que les cours actuels sont attractifs et que leurs entreprises sont pleinement valorisées. Donc la hausse significative du nombre de vendeurs par rapport aux nombre d’acheteurs parmi les initiés nous fait bien penser qu’un nombre croissant des personnes les mieux informées craignent une correction boursière dans un futur proche.
En conclusion, suivre les initiés est-ce une bonne stratégie d'investissement ?
C’est la question à plusieurs millions d’euros. La forte hausse du nombre de vendeurs début 2019 n’a été suivie que par une courte période de stagnation des cours de bourse, après laquelle la hausse des valorisations boursières a repris de plus belle. Suivre le mouvement de vente entamé par les initiés aurait représenté un coût d’opportunité, car il vous aurez fait rater une partie de la hausse du marché.
À l’inverse, début 2021 l’indicateur a été plus pertinent. Six mois après que les initiés se soient mis à vendre, le NASDAQ s’est orienté à la baisse pendant plus d’un an. Il aurait été opportun de faire comme eux.
En conclusion, il nous semble que les transactions par les initiés sont une donnée intéressante à prendre en compte dans votre décision d’allocation de portefeuille. Mais cet indicateur est à lui seul, insuffisant. Il doit faire partie d'un ensemble de données et ne peut être qu’un facteur de décision parmi de nombreux autres.
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