Si vous suivez au moins autant que nous l’actualité financière, vous n’avez pas pu passer à côté de la chute vertigineuse d’Evergrande — deuxième plus gros promoteur immobilier chinois, et jusqu’à récemment, la “real estate brand” la plus valorisée du monde. Mais si vous avez mieux à faire que de lire le Wall Street Journal, et que ces affaires-là vous semblent bien lointaines, voici un bref résumé de l’affaire, dont les conséquences pourraient avoir des impacts bien au-delà des frontières chinoises.
Qui est Evergrande ?
— Non, ça n’a rien à voir avec le Ever Given, c’est une autre histoire —
Evergrande est en réalité bien plus qu’un conglomérat immobilier. Le groupe détient, en sus de son activité real-estate : une marque de voitures électriques, une marque de bouteilles d’eau, une plateforme de streaming, des fermes de panneaux solaires, une équipe de football, et même un parc d’attractions : le “Evergrande Fairyland”.
“Liquidity crunch”
Pour financer cette expansion, le groupe a levé une quantité de dette considérable. Plutôt logique : les emprunts sont aujourd’hui bon marché. Pourquoi s’en priver ?
Le problème est que les revenus de ces dernières années n'ont pas du tout suivi la même trajectoire que le niveau d’endettement de l’entreprise. Le groupe a investi trop, trop vite, et la demande domestique n’a pas suivi.
Ces deux derniers mois seulement, les ventes du groupe ont fondu de moitié.
Mais les engagements de l’entreprise — payer ses 123 000 employés, entretenir les infrastructures construites, verser des dividendes sur la dette, rembourser les emprunts, et construire les parcs immobiliers vendus à l’avance… — eux, n’ont pas disparu. Evergrande se retrouve aujourd’hui en manque de cash pour les honorer tous.
C’est grave ? Plutôt oui. Pour vous donner une idée, Evergrande propose maintenant à ses créanciers de rembourser ses dettes en nature (bâtiments etc...) et cherche à se débarrasser de sa branche de véhicules électriques, sans grand succès pour l’instant.
Pendant ce temps-là, les actionnaires quittent massivement le navire. L’action d’Evergrande a perdu 85% sur les douze derniers mois.
Pourquoi c’est important ?
Pour deux raisons.
La première est immédiate et locale. La chute d’un des plus gros promoteurs immobiliers pourrait entraîner celle de toutes ses parties prenantes : employés, fournisseurs, chaînes logistiques...
En imaginant le pire, on pourrait s’attendre à des impacts profonds sur le marché de l’immobilier chinois tout entier. Evergrande chercherait à brader ses actifs pour rembourser sa dette, tirant ainsi les prix du secteur vers le bas, provoquant d’autres faillites. Un cercle vicieux.
La seconde est plus diffuse. Les titres et créances d’Evergrande sont détenus par des très nombreux investisseurs et petits porteurs, en Chine d’abord, mais aussi à l’international. Normal : la société était jusqu’à récemment l’une des“stars” du marché chinois. Plus de 240 banques et institutions financières seraient exposées (incluant Blackrock, Vanguard etc…)
Le défaut du groupe pourrait non seulement leur faire perdre énormément d’argent, mais pourrait au passage créer une crise de confiance dans le marché de l’immobilier chinois, ou plus largement dans la dette chinoise (300 milliards de dollars tout de même). “Qui sera le prochain à craquer ?”
Le légendaire investisseur George Soros s’inquiète dans le Wall Street Journal d’une potentielle “crise énorme dans l’immobilier chinois” et redoute “des dommages sur la sécurité nationale des US”.
Le scénario plausible
La véritable inconnue est de savoir si Pékin laisserait sciemment couler le paquebot. Il faut se rappeler que l’immobilier porte 30% de la croissance chinoise depuis des décennies. Les conséquences d’un défaut seraient potentiellement dramatiques, par effet domino, comme nous l’avons expliqué plus haut.
Le gouvernement Chinois pourrait donc intervenir pour renflouer les caisses — et renforcer au passage son emprise sur le groupe. Mais en ce faisant, créer un précédent qui pourrait donner l’impression que l’État chinois sera toujours là pour sauver les grandes entreprises en difficulté.
Nous sommes entrés dans le “money time”, parce que le développeur a failli à son obligation de verser des intérêts sur une de ses obligations en US Dollars la semaine dernière. La société a maintenant 30 jours pour verser les 83,5 millions de dollars d’intérêts dus aux investisseurs. Sinon, Evergrande sera formellement en défaut de paiement.
Quelles leçons ?
Il est trop tôt pour s’inquiéter d’un potentiel effet “Lehman Brothers”. Il faut en revanche observer Evergrande comme la cristallisation d’un problème très contemporain : dans un contexte de taux bas, il est tentant de s’endetter, mais il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre.
La Chine a construit sa croissance sur un modèle extrêmement agressif. Aujourd’hui, cette stratégie d’expansion “à tout prix” se retrouve confrontée à la réalité.
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