En investissement, bien vendre est aussi important que bien acheter

Jun 11, 2024

Vendre un actif est plus compliqué que de l’acheter

En investissement (et dans d’autres domaines comme le poker par exemple), la vente d’actifs est plus complexe que l’achat. Pourtant, le rendement de votre portefeuille dépend autant de bons achats que de ventes pertinentes. Le sujet mérite donc votre attention.

C’est quoi bien vendre ?

À juste titre, les investisseurs évaluent typiquement la performance de leurs placements en comparant la valeur de leurs placements au cours du jour, au prix d’achat initial. Le tout exprimé en pourcentages. 

À titre d’illustration, si j’ai acheté 10 actions d’Apple le 3 janvier 2024 à 184 Dollars pièce, et qu’aujourd’hui le cours de bourse de la marque à la pomme s’affiche à 193 Dollars, ma “perf” théorique est de 4,9% (que j’obtiens en divisant 193 par 184). 

En répliquant cet exercice sur l’ensemble des lignes de votre portefeuille, vous obtenez la performance de l’ensemble de vos placements, et pouvez donc déterminer l’efficacité de vos placements.

Mais relativement peu d’investisseurs évaluent avec la même précision et à la même fréquence la pertinence de leurs ventes. Or, nous verrons que les ventes impactent autant la performance de votre portefeuille que les achats.

Vendre trop tôt

Le premier écueil potentiel est de liquider une position trop tôt. Reprenons notre exemple d’Apple. Un investisseur qui aurait acheté des actions en juin 2019 à 50 Dollars pièce pourrait s’estimer heureux de les revendre un an plus tard au double. Un rendement annuel de 100%, c’est en effet plutôt exceptionnel.

Sauf que le cours de bourse d’Apple a continué de monter, pour atteindre 180 Dollars en décembre 2021. Ainsi, en vendant la position en juillet 2020, l’investisseur est passé à côté d’une performance de 260%.

C’est ce qui s’appelle le coût d’opportunité. Et pour l’évaluer il suffit de continuer de suivre la valorisation des investissements soldés, afin de mesurer la performance à côté de laquelle on est passé en vendant. Pour être complet, si la vente a été faite pour replacer la somme sur un autre support, il est pertinent de comparer la performance du placement vendu à celle du nouvel investissement.

Vendre trop tard, à cause de biais psychologiques

Le second écueil est de vendre trop tard. Ce phénomène se produit typiquement quand un de nos placements accuse des pertes. Les chercheurs très connus Daniel Kahneman et Amos Tversky ont mis en évidence plusieurs biais psychologiques qui impactent notre faculté de vendre quand il le faudrait.

Premièrement, les humains détestent les pertes plus qu’ils n’apprécient les gains équivalents. C’est ce qui s’appelle le biais de l’aversion aux pertes. Mais nous détestons encore plus de réaliser une perte certaine, même si l’alternative la plus probable est une perte encore plus importante.

Deuxièmement, les personnes valorisent plus les actifs qu’ils possèdent que des choses identiques qu’ils ne possèdent pas. C’est ce que les experts appellent l’effet de dotation.

Les deux effets combinés font qu’il est psychologiquement très difficile pour les épargnants de se débarrasser d’une position perdante. Déjà stressé par une perte théorique, l’investisseur qui passe à l’acte de vente doit la transformer en perte certaine, tout en se séparant d’un actif qu’il valorise plus que tout actif équivalent alternatif. Pas facile …

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Est-ce que les investisseurs vendent vraiment trop tard ?

Pour les petits porteurs, la réponse est affirmative

Différentes études démontrent que ces biais psychologiques jouent effectivement de mauvais tours aux investisseurs individuels. C’est ce que démontre l’analyse faite par Alex Imas du l’Université de Chicago, qui a étudié le comportement des investisseurs particuliers qui mettent en place des ordres de vente automatiques, soit pour prendre des gains pré-définis (les ordres “take-gain”), ou encore pour limiter les pertes (les ordres “stop-loss”). Ce type d’ordre est conçu pour neutraliser les biais psychologiques nuisibles, et déclenchent une sortie d’une position si un niveau spécifique de gains ou de pertes est atteint.

L’universitaire américain a découvert que peu d’investisseurs atteignent le niveau de prise de gain automatique. Nombreux sont ceux qui vendent leurs positions manuellement avant, afin de cristalliser des gains, par peur de voir ces profits théoriques s’évaporer.

De la même façon, un très grand nombre d’investisseurs désactivent le mécanisme de vente automatique, au fur et à mesure que le cours de bourse de l’actif en question se rapproche du seuil de pertes qui déclencherait la vente.

Ainsi, les petits porteurs ont tendance à prendre des bénéfices trop tôt, et à laisser s’empirer des positions perdantes pendant trop longtemps.

Pour les investisseurs professionnels ce n’est pas beaucoup mieux

Est-ce que les investisseurs amateurs doivent avoir honte ? Pas tant que cela. Car les investisseurs professionnels ne sont pas nécessairement plus rationnels sur le sujet.

M. Imas a également passé les décisions d’achat et de vente de 783 gérants professionnels au peigne fin. Ces investisseurs institutionnels gèrent 573 millions de Dollars en moyenne. Bonne nouvelle, ils étaient plutôt bons à l’achat. En moyenne, leurs nouveaux placements ont sur-performé le marché de 1,2%.

Mais pour les ventes, leurs décisions furent beaucoup moins pertinentes. Les actifs qu’ils ont choisi de vendre ont généré un manque à gagner de 0,8% par rapport à une sélection au hasard d’un autre actif de leurs portefeuilles respectifs.

Pour être plus précis, contrairement aux petits porteurs, les pros ne s’attachent pas à des positions perdantes. Mais au lieu de sélectionner les actifs à vendre en choisissant ceux qui contribuent le moins au rendement, ajusté pour le risque (le risk-adjusted return), ils ont tendance à vendre les actifs dont la performance relative est soit très bonne, soit très mauvaise.

En ce faisant, ils lâchent deux tiers de la sur-performance que leur bonne technique d’achat leur avait permis de générer.

Comment s’améliorer et désinvestir de façon optimale

Maintenant que nous avons pu établir combien il est difficile de bien vendre, et combien cela peut impacter la performance de votre portefeuille de placements, attaquons-nous aux solutions.

Pour cela, inspirons-nous des conseils donnés par une joueuse de poker professionnelle, Annie Duke, auteure de “Quit: The Power of Knowing When to Walk Away”, ou “S’arrêter : le pouvoir de savoir quand il faut se coucher”. Dans son monde, les pros du poker se couchent en moyenne dans 85% des cas, directement après avoir consulté leurs jeux. Bien plus souvent que les amateurs, qui parient plus facilement sur des mains statistiquement faibles.

Selon elle, pour bien vendre, il est crucial de reconnaître que l’achat et la vente d’actifs sont les deux faces d’une même médaille. Et donc de leur donner la même importance.

De nombreux investisseurs maintiennent des listes d’actions qu’ils pourraient un jour vouloir acheter. Ils devraient également continuer de tracker celles qu’ils ont vendues dans le passé, pour tester la qualité de leurs décisions de vente.

Les gestionnaires de fonds doivent régulièrement justifier leurs achats ou leurs intentions d’achats devant leurs comités d’investissement. Il serait pertinent de leur demander d’en faire autant pour les ventes qu’ils envisagent d’exécuter.

Et, naturellement, si vous utilisez des techniques de vente automatiques à un niveau de perte donnée, il faut les respecter.

Bref, la réflexion et l’analyse précédant une décision de vendre une position méritent d’être aussi approfondies que celles qui précèdent les décisions d’achat.

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