La vénérable Banque de France s’est engagée à verdir son bilan, en se débarrassant de ses investissements liés aux combustibles fossiles d’ici 2024. C’est un bon début, mais est-ce réplicable au niveau européen ?
La Banque de France est une institution financière à part
Une banque pas comme les autres
La Banque de France fut créée le 18 janvier 1800, ce qui en fait une des plus vieilles institutions bancaires du pays. Ce qui la distingue des autres banques, c’est qu’elle est la banque centrale de la France, ayant pour mission principale la stabilité des prix, sous la tutelle de la Banque Centrale Européenne (la BCE). Elle soutient aussi la politique économique du gouvernement. On dit souvent qu’elle est “la banque des banques”. Car elle produit et émet la monnaie. Dit simplement, une des ses responsabilités est de fabriquer les billets de banque. Mais l'institution se charge aussi de la supervision des banques, du bon fonctionnement des systèmes de paiement et de la sécurité des dépôts des épargnants.
Bref, elle joue un rôle très important et unique dans la gestion de notre économie et dans la régulation de notre système financier. Dans ce cadre, il lui arrive d’investir. Et depuis quelques années, même beaucoup !
La Banque de France investit surtout pour la BCE, mais aussi pour elle-même
Il est important de faire la part des choses. Dans le cadre de la politique de l'assouplissement quantitatif mise en place par la BCE, la Banque de France effectue des investissements au nom de la Banque Centrale Européenne. Une partie du programme de soutien de trois mille milliards d’euros passe via les tuyaux de notre banque centrale. Mais tout ce qu’elle achète à ce titre se retrouve bien sur le bilan de la BCE, à Francfort.
Par ailleurs, la Banque de France place aussi de l’argent en son propre nom. Pour des montants bien plus modestes. Mais il s’agit d’environ 22 milliards d’euros tout de même, qui incluent les quelque 14 milliards d’euros du fonds de pension de ses employés. Ce sont sur ces placements qu’elle détient en direct que l’institution monétaire a récemment fait plusieurs promesses.
L’engagement “vert” de la Banque de France
Trois mesures phares
Dans son annonce du 18 janvier dernier, elle affirme d’abord sa sortie définitive de toutes les entreprises liées au charbon, au plus tard en 2024. Elle s’était déjà engagée sur ce thème en 2018. Elle avait alors décidé d’exclure toutes les sociétés extractrices de charbon ou productrices d’énergie à base de charbon dont plus de 20% des revenus dépendaient de ces activités polluantes.
Ensuite, elle a annoncé une mesure similaire vis-à-vis de l'industrie du pétrole. Ainsi, la banque centrale se séparera de toute son exposition aux hydrocarbures non conventionnels dès 2021, et exclura toutes les entreprises dont le pétrole représente plus de 10% (ou le gaz plus de 50%) de leurs chiffres d’affaires, d’ici 2024. Enfin, elle exercera ses droits de vote pour s’opposer à tout nouveau projet visant à développer des énergies fossiles.
Une première parmi les banques centrales de la zone Euro
La Banque de France devient ainsi la première banque centrale de la zone euro à s’engager publiquement sur la transition de son portefeuille d’investissement, selon des critères responsables. En cela, elle suit la banque centrale suisse, qui exclut tout investissement dans des sociétés qui nuisent fortement à l’environnement, violent les droits de l’homme ou qui produisent des armes interdites. Elle met aussi la pression sur ses consoeurs européennes, et sur sa “maison-mère”, la Banque Centrale Européenne.
L’investissement responsable est beaucoup moins facile à mettre en place pour la BCE
Il n’y a pas de doute que l’adoption par la BCE d’une politique d’investissement durable, similaire à celle que vient d’annoncer la Banque de France, aurait beaucoup plus d’impact. En effet, dans le cadre de la politique d’assouplissement quantitatif de trois mille milliards d’euros, environ 8% est investi en obligations émises par des entreprises. Nous ne savons pas quelle proportion de ces 250 milliards d’euros est allouée au secteur des énergies fossiles, mais il est probable qu’une partie de cette somme y soit bien consacrée.
Se séparer de cette partie du portefeuille ne sera pas facile. Pour au moins deux raisons.
Le mandat de la BCE est-il de favoriser la transition énergétique ?
Nous savons que la présidente de la BCE, Christine Lagarde est personnellement convaincue de la nécessité de combattre le réchauffement climatique. Mais cela ne veut pas dire que la réponse à la question ci-dessus soit tranchée. Plusieurs membres du conseil de la BCE, qui en déterminent la politique, estiment que l’adoption d’une politique d’investissement durable sortirait du cadre de la mission officielle de l’institution. Pour eux, cette décision est de nature politique, et n’a aucun rapport avec la stabilité financière que la BCE est censée promouvoir.
L’ajustement du portefeuille pourrait causer une disruption du marché
Par ailleurs, le volume de titres en jeu est considérable. Si la BCE décidait de se séparer de dizaines de milliards d’obligations d’un secteur industriel donné, même sur une période de plusieurs années, cela pourrait causer un séisme sur les marchés. Ce qui irait à l’encontre de la mission principale de la BCE qui est justement de favoriser la stabilité financière !
En conclusion, nous louons la récente décision de la Banque de France et son engagement en faveur de la transition énergétique. C’est la première banque centrale en Europe à joindre l’acte à la parole. Ses actions ont le mérite d’attirer l’attention du grand public sur le rôle que l’épargne peut jouer pour stimuler la protection de la planète. Mais appliquer cette démarche à l’échelle de la BCE n’est pas aussi simple. Car oui, il s’agirait-là d’une prise de position extra-financière, nécessitant sans doute un engagement politique consensuel au niveau européen et des mesures d’accompagnement pour éviter la déstabilisation de l’économie.
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