Mar 30, 2021

À l’exception des principaux concernés, nous sommes nombreux à avoir sourit la semaine dernière de l’accident du Ever Given, qui bloque encore à ce jour le Canal de Suez. Les internautes s’en sont donné à cœur joie.


"Vous pouvez faire des erreurs graves, mais au moins on ne peut pas les voir depuis l'espace"


Mais si cette histoire à de quoi faire sourire, il n’en est pas moins que le Ever Given est le grain de sable — de 220 000 tonnes tout de même — qui enraye brutalement la machine. Il nous semble intéressant d’analyser son impact du point de vue de l’épargnant.

L’importance du Canal de Suez pour l’économie mondiale

Un peu d’histoire et quelques stats

Le canal est formellement inauguré en 1869, après plus d’une décennie de travaux. Il est depuis l’une des artères principales du trafic maritime mondial, tout comme le canal de Panama ou le détroit de Malacca par exemple. Et malgré son histoire mouvementée, c’est aujourd’hui par ce canal que transite 12% du commerce international. Pour une bonne raison : c’est lui qui fait la jonction entre l’Europe à l’Asie… et qui économise à ceux qui l’empruntent un tour de l’Afrique de 7000 km.

Pour satisfaire la demande croissante aux deux bouts de la chaîne (Asie d’un côté, Europe de l’autre), les armateurs ont trouvé une solution toute simple : faire des bateaux plus gros.


Le géant Ever Given

L’année dernière, 18 597 bateaux ont ainsi emprunté le canal, dont près de la moitié étaient des transporteurs de containers — 50 000 tonnes de marchandises en moyenne. Mais le Ever Given n’est pas le bateau moyen. Avec 400 m de long et 59 m de large, cette véritable forteresse flottante transporte plus de 200 000 tonnes de marchandises à elle toute seule. Pour vous donner une idée, voici une rapide mise à l’échelle par rapport à la Seine.



Ces proportions étaient loin d’être concevables à l’époque de la création du canal, raison pour laquelle il ne fait “que” 280 mètres de large. En s’enfonçant le nez (d’accord, la proue) dans la rive de ce dernier, le Ever Given a littéralement bloqué tout le trafic.

Les répercussions

Sur place

Pour emprunter le Canal de Suez, chaque navire doit payer une commission à l’Egypte, qui peut se chiffrer à plusieurs centaines de milliers de dollars, selon la taille du navire. Au rythme de 50 bateaux par jour, chaque jour d’interruption coûte 14 millions de dollars au pays.

Du côté des armateurs maintenant. En attendant de dégager la voie maritime, certains ont fait jeter l’ancre à leurs navires, des deux côtés du canal. L’assureur Lloyds estime que la valeur marchande totale ainsi immobilisée dépasse les 10 milliards de dollars. Se pose alors une question cruciale : est-ce qu’on reste là en espérant que ça se dégage vite ? Ou est-ce qu’on change d’itinéraire, ce qui rajouterait dix de jours au trajet, et environ 300 000 dollars de fuel aux frais de transport ? Inutile de vous dire que le prix du transport maritime entre l’Asie et l’Europe a plus que doublé ces derniers jours.

Sur les marchés

Les valeurs logistiques et pétrolières en hausse

Cet embouteillage monstre a eu des effets économiques immédiats. Les actionnaires de sociétés de transports maritimes ont vu la valeur de leurs investissements augmenter. Ainsi, les actions de Nordic American Tankers et du danois Maersk se sont adjugées 14% et 6% vendredi dernier.

Le prix du pétrole a également passé la barre des 60 dollars par baril. Car même si l’Europe et l’Asie sont aujourd’hui moins dépendantes du Canal de Suez pour leurs approvisionnements en pétrole, The Economist estime que 10% du pétrole mondial y transite toujours.

La pression sur les semi-conducteurs, l’automobile et les biens de consommation

Avec l’augmentation et l’accélération des échanges internationaux, de nombreuses chaînes de production sont devenues “à flux tendu”. Ce qui signifie qu’elle ne maintiennent pas ou très peu de stocks. Les matières premières arrivent en continu et sont immédiatement transformées puis transportées vers d’autres horizons. Plutôt pratique pour minimiser ses coûts… jusqu’au jour où le transport s’arrête.

Certaines chaînes de production aux Etats-Unis ou en Europe ont ainsi été mises à l’arrêt. Le fabricant de meubles Ikea a annoncé réfléchir à toutes les alternatives possibles pour éviter ce scénario, mais confirme être affecté par ce problème. Le constructeur de bulldozers Caterpillar a décidé de faire voyager certaines pièces par avion de ses usines en Inde à celles aux Etats-Unis, pour éviter la mise à l’arrêt forcée de ces dernières. Un plan de sauvetage terriblement coûteux.

De façon plus prosaïque, mais toute aussi tangible, de nombreuses commandes Amazon devraient arriver avec du retard. Toujours selon le très respecté assureur Lloyd’s, le blocage coûte 400 millions de dollars… par heure !

Quelles leçons pour les épargnants

Cette crise du transport nous donne l’occasion de rappeler quelques principes clés.

D’abord, elle montre que malgré toutes les analyses possibles, il reste un facteur chance (ou malchance) impossible à prédire. On ne peut donc qu’essayer de prendre en compte tous les risques potentiels, avant d’investir.

Ensuite, elle nous rappelle que la meilleure arme contre ces imprévus reste la diversification. Si vous avez investi dans plusieurs secteurs et dans plusieurs pays, un accident comme celui du canal de Suez relève du non-événement. Car les pertes qu’il engendre seront compensées par les gains réalisés ailleurs. Nous l’avons écrit ci-dessus : le blocage du canal pénalise Caterpillar, mais favorise Maersk.

Nous rappelons au passage que la diversification de votre épargne n’est pas réservée qu’aux sachants. Si vous n’y connaissez rien, ou que vous avez mieux à faire, des experts peuvent tout à fait s’en occuper pour vous.

Distinguer les disruptions mineures et les changements fondamentaux

Malgré ses impacts considérables, le blocage du Canal de Suez ne durera qu’un temps. Des premiers signes d’optimisme font leur apparition à l’heure où nous écrivons ces lignes. L’affaire est certes gênante à court terme, mais ne changera pas le cours de l’économie mondiale. Contrairement, par exemple, au Covid-19, qui a mis sous cloche des secteurs industriels entiers pendant plus d’un an et qui a plus fondamentalement changé la façon dont nous consommons.

La difficulté pour tout investisseur est de faire la différence entre les disruptions passagères et les transformations durables. Les premières exigent une simple veille, mais pas nécessairement d’ajustements de portefeuille. Alors que les secondes doivent provoquer une réflexion sur la stratégie d’investissement. Seules ces transformations radicales et persistantes peuvent justifier un changement dans l’allocation de son épargne.

Nous reconnaissons que c’est plus facile à dire qu’à faire. Le Covid aurait tout a fait pu être une petite “grippe passagère”.

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