Les bonds selon James Bond

Mar 10, 2023

Après SBF dans la crypto, c’est au tour de SVB de semer la panique dans le secteur bancaire. Les valeurs boursières des banques américaines ont fondu en 24 heures — rare pour ce type de valeurs peu volatiles, et d’autant plus surprenant qu’elles se portaient très bien jusque-là. Le KBW index, qui réplique le secteur bancaire américain, a décroché de 7%, sa plus grosse chute depuis la corona-panique de juin 2020. 

Les marchés européen ont suivi le mouvement. Deutsche Bank perdait 8% ce matin, HSBC -5%, Société Générale -5%, Santander -4%. 

Que s’est-il passé ? 

Un petit acteur expose un problème potentiellement systémique

Si vous n’avez jamais entendu parler de la Silicon Valley Bank, c’est normal. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une petite banque américaine, qui prête principalement aux entreprises du secteur tech. 

Cette entreprise a perdu 60% de sa valeur dans les deux derniers jours.

Pourquoi une telle chute ? Et surtout : pourquoi a-t-elle secoué les valorisations de mastodontes dans le monde entier ? 

Le ratio de Liquidité

Depuis la crise financière de 2008, les régulateurs ont imposé aux banques de conserver suffisamment de cash en réserve pour pouvoir supporter des retraits massifs en cas de “ruée vers les distributeurs”. 

Concrètement, cela veut dire que les banques doivent placer une partie importante de leur bilan comptable sur des High Quality Liquid Assets. Autrement dit : des placements qui puissent être instantanément transformés en cash, et dont la valeur est relativement stable. 

Au menu de ces HQLA, on retrouve évidemment la trésorerie pure et dure (le cash que les banques déposent chez les banques centrales), mais aussi les… obligations d’État, ou de certaines entreprises et fonds de pension. 

SVB doit vendre des positions

Comme toutes les autres banques, la SVB a donc placé une partie de ses avoirs sur des obligations et autres “Securities”, 91 milliards de dollars pour être précis. 

Seulement voilà : le contexte économique actuel n’a pas fait que du bien au secteur de la tech américaine, et les dépôts des clients de SVB ont commencé à se faire rares. N’ayant plus assez de cash en réserve pour satisfaire son ratio de liquidité, la banque a dû vendre certaines de ses obligations pour compenser. 

Et c’est là que les choses se compliquent. Sur la vente d’un portefeuille de 21 milliards de dollars de HQLA, la banque a déclaré une perte sèche estimée à 1,8 milliards — soit plus que son bénéfice net en 2021 (1,5 milliard).

Comment des obligations réputées de haute qualité peuvent-elles perdre de la valeur à ce point ? On est en droit de se poser la question. Il y a en effet théoriquement peu de chances que les États Unis, la France ou l’Allemagne fassent faillite, n’est-ce pas ?

On trouve l’explication dans une des règles d’or de la finance : quand les taux d’intérêt montent, le prix des obligations baisse. Tout simplement parce que les obligations deviennent moins intéressantes pour l’épargnant. 

SVB a donc dû vendre en urgence, et à prix discount, une partie de ses positions dans ce secteur. On dit que la banque a réalisé ses pertes latentes.

Une chose en entraînant une autre, les investisseurs s’en sont rendu compte, et SVB a dû vendre (ici aussi à prix discount) une partie de ses propres actions pour éponger. Cercle vicieux : la vente de ces actions a dilué la valeur des actions déjà sur le marché, ce qui a encore accéléré la fuite des investisseurs. 

À l’heure où nous publions cet article, le trading des actions SVB a été interrompu.

Le secteur bancaire massivement exposé aux obligations

Ce problème pourrait être un cas isolé, mais il ne l’est pas. Toutes les banques ont fait le plein d’obligations ces dernières années. Notamment car les marchés transpiraient : il fallait se positionner dans des valeurs refuges. Aussi car personne n’anticipait l’ampleur et la durée de l’inflation dont nous souffrons aujourd’hui. 

Pour contrer cette tendance inflationniste, les banques centrales ont naturellement sorti l’artillerie lourde et augmenté les taux d’intérêt à un rythme effréné. 

Les épargnants en ont profité (le taux d’intérêt du Livret Cashbee est passé à 2% aujourd’hui !). Mais les obligations détenues par les banques, elles, ont beaucoup souffert. 

Les banques se retrouvent donc assises sur un paquet monstrueux (620 milliards) d’assets qui causeraient des pertes significatives, s’ils devaient être vendus dans l’urgence pour couvrir ce fameux ratio de Liquidité.

Ce genre de nouvelle ne rassure jamais les marchés. Et c’est ce qui explique le petit vent de panique de ce matin dans le secteur bancaire.

Faut-il y voir un signal d’alarme ? 

Pas encore, et probablement pas… du tout. La panique sur les marchés est naturelle, mais elle est disproportionnée.

Oui, les grandes banques sont potentiellement à risque sur cette classe d’actif. Néanmoins, la perte ne réalisera que si elles sont contraintes de vendre leurs obligations avant l’échéance.

Et non, ce risque ne va pas affecter la solidité de leurs bilans comptables. 

D’abord car, de l’autre côté du tableau, elles profitent aussi beaucoup de la montée des taux. Les banques peuvent vendre du crédit plus cher, et c’est d’ailleurs (entre autres) ce qui a alimenté leurs excellents résultats ces dernières années.

Ensuite car, contrairement à SVB, les grandes banques sont proportionnellement moins exposées aux obligations. Pour vous donner une idée, les obligations représentaient plus de la moitié du total des HQLA détenues par SVB. Dans le cas des grandes banques, la moyenne tourne plutôt autour de 25%. 

Enfin car, pour la plupart des banques de détail, les dépôts ne font qu’augmenter. La collecte sur le Livret A par exemple, favorisée par la hausse de son taux, a collecté 9 milliards de plus en février, un record depuis 2012. Les banques, notamment françaises, ne sont donc pas vraiment à court de cash.

Pas de panique donc, juste l’occasion pour nous d’illustrer des concepts financiers importants, en prenant exemple sur l’actu croustillante !

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