Dans son rapport “Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré”, publié le 27 octobre dernier, l’OXFAM reproche aux grandes banques françaises d’avoir des émissions 8 fois supérieures à celles de la France ... entière ! Explications.
Le secteur bancaire sur le banc des accusés
Quelles sont les industries les plus polluantes au monde ? Le secteur pétrolier, d’accord. L’industrie du charbon, évidemment. On nous parle aussi beaucoup des secteurs de la construction et du textile. Puis de l’aviation. Sans oublier l’élevage (bovin notamment). Mais les banques ? Vraiment ?
Et pourtant ce sont bien elles qui sont directement visées par Oxfam France, l’association qui lutte contre les inégalités et la pauvreté dans le monde. Elle a calculé que le volume annuel des émissions de gaz à effet de serre résultant des activités de financement et d’investissement des six plus grandes enseignes bancaires représenteraient 3,3 milliards de tonnes équivalent de CO2. Soit 7,9 fois les émissions de la France ! Ce qui placerait la BNP Paribas, le Crédit Agricole, la Société Générale, le groupe BPCE, le Crédit Mutuel et la Banque Postale au même niveau que des entreprises parmi les plus polluantes de la planète. À titre de comparaison, Total émettait un peu plus de 300 millions de tonnes de CO2 en 2017, d’après un rapport de Carbon Disclosure Project.
Des conclusions chocs, une fois les émissions indirectes prises en compte
Le postulat de départ est que les banques sont a minima co-responsables des émissions de CO2 faites par des entreprises qui bénéficient de leurs financements. Et comme les grandes banques prêtent beaucoup aux secteurs polluants, l’étude conclut que les banques se situent donc bien parmi les sociétés les plus polluantes, via les émissions indirectes auxquelles elles contribuent. Et cela malgré leurs efforts pour aussi prêter aux secteurs “verts”, qui ne pèsent pas lourds dans la balance. Pour être plus précis, Oxfam constate que “chacune des banques étudiées économise moins de 0,1 tonne de CO2, lorsqu’elle finance une tonne de CO2 induite.”
Ceci étant dit, les écarts entre les banques sont notables :
Ces écarts illustrent les différences dans les modèles économiques des banques, dont certaines soutiennent de longue date des secteurs comme les énergies fossiles, alors que d’autres y sont moins exposées. En effet, toujours selon le rapport, le seul secteur du pétrole et du gaz représente plus de 40% des émissions des portefeuilles de prêts aux entreprises des quatre banques les plus importantes : BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE.
Il apparaît également que celles qui sont les plus actives à l’international (comme la Société Générale ou BNP Paribas) sont structurellement plus exposées aux entreprises carbonées.
La méthodologie derrière les chiffres
Pour arriver à ces conclusions, Oxfam détaille sa méthodologie, adoptant les principes élaborés par la société indépendante Carbon Impact Analytics (CIA), spécialiste en la matière. Tout d’abord, il s’agit de faire la différence entre les émissions directes et indirectes. Si une banque ne génère typiquement que peu d’émissions directes, le calcul de l’empreinte carbone prend aussi en compte les émissions indirectes. C’est-à-dire les conséquences de second degré de son activité de financement.
Pour illustrer cette différence, comparons par exemple Dell, qui fabrique des ordinateurs, et la Société Générale, qui (entre autres) finance des entreprises. Dell utilise des procédés industriels complexes pour fabriquer ses ordinateurs, ainsi que des matières premières rares comme le silicium ou le lithium. Les émissions directes liées à l’extraction puis à la transformation de ces matières premières en produit fini sont lourdes. En revanche, une fois que l’ordinateur est livré, son impact énergétique est relativement mince (à moins qu’on s’en serve pour miner du Bitcoin). La Société Générale, symétriquement, n’a pas une activité très directement carbonifère. À part quelques serveurs à faire tourner, une banque n’a pas de gros besoin en énergie pour fonctionner. Là où le calcul devient beaucoup moins flatteur, c’est quand on regarde ce que les clients de la banque font avec l’argent qu’elle leur prête. Quand certains de ces clients sont des groupes pétroliers, le bilan s’alourdit très vite.
Pour faire ce calcul, l’analyse se fonde sur les bilans comptables des banques, et notamment leurs portefeuilles de prêts, regroupés par secteur industriel. 81% des émissions de CO2 des banques proviennent des financements et investissements qu’elles accordent aux entreprises. Cette approche “bottom-up” permet alors d’associer des tonnes de CO2 par millions d’euros de prêts, selon le secteur auquel le financement est destiné.
Les contre-arguments des banques
Nous saluons Oxfam pour son fair play, car les auteurs ont donné un droit de réponse aux banques, dont les contre-arguments ont également été publiés par l’association. Sans tous les énumérer, il nous semble que certains valent la peine d’être soulignés.
Des critiques notamment sur la méthode
Un problème de CO2 universel
Force est de constater que l’économie mondiale n’est pas assez dé-carbonée, dans son ensemble. Si une banque souhaite diversifier son portefeuille de prêts et minimiser son exposition aux industries polluantes, la liste d’emprunteurs potentiels s’amenuise rapidement — et les emprunteurs solvables, n’en parlons pas. Par ailleurs, une banque a pour rôle essentiel de financer l’économie (dont certaines parties sont aujourd’hui effectivement carbonées). Elles sont donc structurellement obligées de s’exposer à un certain nombre de secteurs aujourd’hui encore polluants. Leur travail est, au moins sur le papier, d’accompagner la transition écologique de ces acteurs, justement en leur accordant des financements. Cet aspect ne peut pas être capté par l’approche “bottom-up” retenue par Oxfam.
Un constat basé sur le passé
Par ailleurs, l’étude d’Oxfam correspond à une photographie statique des portefeuilles des banques. Or ces portefeuilles de crédit sont constitués de prêts dont bon nombre ont été accordés il y a plusieurs années, à une époque où les politiques d’allocation de crédit étaient moins strictes vis-à-vis de certaines industries carbonées. Autrement dit : l’analyse d’Oxfam prend en compte le stock de crédits, mais ne reflète pas les critères beaucoup plus stricts actuels, destinée à faire progressivement baisser la proportion des industries polluantes dans les portefeuilles de prêts bancaires. Plusieurs grandes banques ne financent déjà plus les activités d’exploration et de production de gaz de schiste. Et il est aussi question de boycotter le charbon thermique, par exemple.
Quelques raccourcis
En outre, la méthodologie retenue est perçue comme trop grossière pour bien mesurer les efforts en économies d’émission de gaz à effet de serre selon la plupart des banques. La BPCE met ainsi en avant que dans son processus d’allocation de crédit, tout emprunteur est désormais évalué sur l’impact carbone de son activité, au même titre que sa solidité financière et sa capacité de remboursement. Dans ce cadre, BPCE est amenée à mesurer finement les économies d’émissions que ses clients emprunteurs réalisent, qui seraient donc “presque 10 fois” supérieures aux estimations faites par Oxfam.
Un accord sur le fond : il faut dé-carbonner
Dans l’ensemble, les banques estiment que le rapport d’Oxfam ne reflète pas les efforts réels qu’elles déploient depuis quelques années afin de réduire l’empreinte carbone de leurs activités. Elles se sont toutes engagées à se conformer aux objectifs de l’Accord de Paris dans les années à venir. Certaines, comme la Banque Postale par exemple, dès 2021. BNP Paribas estime que les banques françaises sont aujourd’hui en avance sur leurs consoeurs internationales et “les seules au monde à avoir des politiques sérieuses en matière de sortie du charbon.”
La pression d’Oxfam est indispensable, mais les banques vont dans le bon sens
Nous sommes convaincus que la finance, et donc les banques, ont un rôle majeur à jouer dans la dé-carbonisation nécessaire et urgente de l’économie mondiale. Nous sommes par ailleurs convaincus que des acteurs comme Oxfam, s’appuyant sur des outils d’analyse proposés par des sociétés comme Carbon4Finance et Carbon Impact Analytics jouent un rôle tout aussi important pour attirer l’attention du public et des décideurs politiques sur cette problématique. Et de mettre la pression, car il y urgence.
Néanmoins, nous pensons aussi que les grandes banques traditionnelles sont conscientes de l’enjeu, et que leurs dirigeants s’appliquent à soutenir la transition écologique, reconnue comme cruciale. L’engagement sur ce front nous paraît mesurable et fort. La vraie question nous semble plutôt être : comment réussir le virage écologique, tout en répondant à l’impératif de soutenir l’économie (dans son ensemble) ? Les deux objectifs ne sont pas mutuellement exclusifs. Il n’y a qu’à compter le nombre de décideurs politiques qui prônent la “relance verte” ou “la croissance responsable”.
Mais ils laissent alors aux banquiers le soin de trouver l’interprétation pratique de ce que cela veut dire, lorsqu’il s’agit d’allouer un financement (où non) à telle société de transport régionale, ou telle enseigne de mode...
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