D’accord, c’est un sujet politique clivant. Donc dangereux de s’y attaquer. Et pour être clair d’emblée, Cashbee ne prend pas de position politique sur le sujet. Mais nous nous penchons volontiers sur la proposition faite par les étudiants manifestants pro-Palestiniens de pousser les fonds de donation de leurs universités à se débarrasser de tout actif lié à Israël.
En quoi consiste cette tactique et, si elle était appliquée, serait-elle efficace ?
Le désinvestissement activiste. De quoi s’agit-il ?
Au-delà d’occuper une partie des locaux universitaires et d’organiser des manifestations, de nombreux collectifs d’étudiants exigent que les fonds d’investissements de leurs facultés vendent tous les investissements de leurs portefeuilles qui ont un lien avec Israël. Cela fait écho aux campagnes de plus longue date des groupements d’environnementalistes qui espèrent forcer les grands investisseurs institutionnels à exclure tout investissement lié à l’exploration, la production et la distribution d’énergies fossiles.
Ce désinvestissement a évidemment une valeur symbolique. Mais au-delà de l’effet d’annonce, de nombreux étudiants espèrent que ce type de mesure aura un effet financier réel.
Réduire / éliminer l’accès au capital
En effet, en théorie, la stratégie de désinvestissement devrait réduire, ou potentiellement éliminer, l’accès aux financements des cibles de cette campagne. Si suffisamment d’investisseurs adoptent le mouvement visant un type d’entreprise ou un pays, et il deviendra automatiquement plus complexe de lever des capitaux ou de s’endetter pour les entreprises ciblées, qui devront alors changer de comportement ou risquer la faillite.
Dans le cas présent, l’idée serait que si de plus en plus de firmes Israéliennes souffrent, peut-être que Binyamin Netanyahu ajustera sa politique au sujet de la bande de Gaza.
L’exemple du passé : l’industrie du charbon
Sur papier, une telle tactique de désinvestissement peut marcher. Prenons l’exemple de l’industrie du charbon. Une très grande majorité de la population connaît l’impact désastreux sur l’environnement de l'exploitation et surtout de l’usage du charbon comme source d’énergie. Sous la pression de groupes d’activistes initialement, et puis progressivement d’une partie croissante des populations, les grandes banques ont successivement réduit puis, pour un nombre croissant d’entre elles, tout simplement arrêté de financer le secteur du charbon.
Une étude publiée par la prestigieuse université d’Harvard souligne qu’entre 2015 et 2021, le refus des banques de financer de nouveaux projets dans le charbon ont réduit le volume d’émissions de CO2 d’une giga-tonne (soit l’équivalent des émissions de CO2 de 20 millions de Volkswagen Passat durant toute leurs vies).
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Ouvrir un livretLe désinvestissement de “tout placement lié à Israël” a peu de chances de réussir
Le contre-exemple du lobby anti-pétrole
En revanche, le mouvement prônant l’exclusion de toutes les sociétés pétrolières des portefeuilles d’investissement peine à s’imposer. À chaque fois qu’un gérant de fonds a décidé de se séparer des ses placements dans cette industrie, d’autres investisseurs étaient là pour acheter les actions d’Exxon, de TotalEnergies, de Shell et de BP qu’il mettait sur le marché.
Pire, lorsque certaines banques et fonds d'investissements ont commencé à vouloir réduire leurs expositions au secteur des énergies fossiles, des fonds de pensions installés au Texas, en Arizona et tout autre État où l’industrie pétrolière pèse lourd dans l’économie locale ont menacé de retirer leurs avoirs et de couper les liens commerciaux avec ces acteurs “woke-istes”.
Enfin, force est de constater que l’exclusion des valeurs pétrolières d’un portefeuille aurait coûté cher à l’investisseur car les actions des Oil Majors ont plutôt très bien performé ces dernières années.
La bataille est loin d’être terminée, mais, à date, on ne peut pas dire que les grandes sociétés pétrolières rencontrent des difficultés pour se financer. L’effort d’exclusion n’a pas payé de dividendes à ceux qui l’exigent.
Tout ou rien : un désinvestissement partiel ne réussit jamais
Malgré l’exemple du charbon, nous pensons que l’initiative d’exclusion de tout placement lié à Israël n’a que de très faibles chances de réussir. Car, comme l’illustre l’exemple du lobby anti-pétrole, il faut que la cause soit très largement adoptée pour que l’effet du désinvestissement se fasse sentir dans la pratique.
Or, même si les “endowment funds” (les fonds des universités américaines investissant les dons reçus) sont gigantesques et peuvent gérer des milliards de Dollars, ils sont individuellement et même pris ensemble, très petits par rapport aux géants du secteur de l’investissement.
Ainsi, au 30 juin 2023, l’endowment fund de l’université de Columbia disposait d’actifs sous gestion de 13,6 milliards de Dollars. Au même moment, le gestionnaire d’actifs Blackrock avait presque 5 trilliards de Dollars sous gestion. Soit plus de 360 fois plus.
Dit autrement, si tous les endowment funds vendaient leurs actifs liés à Israël, ce ne représenterait qu’une goutte d’eau (certes avec une écho probable dans la presse), sans doute très rapidement absorbée par d’autres investisseurs.
Une cause dont la définition est floue
Les demandes de ceux qui protestent sur les campus réduisent encore plus les chances de succès de la démarche. En effet, il n’existe que peu de sociétés israéliennes cotées, et les participations des fonds universitaires dans ces entreprises sont toutes petites. Les manifestants se sont donc tournés vers les entreprises faisant des affaires en Israël. Ainsi, les étudiants manifestants de l’Université du Michigan exigent le désinvestissement de sociétés comme Google, Toyota et McDonald’s et la rupture des liens avec des sociétés de gestion comme Blackstone.
S’il fallait respecter toutes les demandes, il ne resteraient plus beaucoup d’actifs dans l’univers d’investissement restant ! Et où s’arrêter ? Est-il acceptable de détenir des Treasuries (les obligations des Etats-Unis), alors que les USA fournissent de l’aide à Israël ?
Un impact négatif sur la performance financière
En toute cohérence, accepter les demandes de désinvestissement de certains groupes d’étudiants reviendrait à se couper de pans entiers des marchés financiers et donc d’exposer le portefeuille de placement à un risque de concentration.
Autrement dit, le désinvestissement proposé aura sans doute des effets sur la performance financière (probable) du fonds d’investissement concerné. En effet, exclure le secteur de l’armement d’un portefeuille, ou les mastodontes de la tech comme Google, risque de peser sur la performance financière d’un portefeuille de placement et d’en réduire le rendement.
Un impact négatif sur les frais de gestion
L’exclusion de certaines valeurs précises d’un portefeuille est également coûteux d’un point de vue des frais de gestion. En effet, si vous souhaitez tout simplement répliquer la performance du marché actions américain, il suffit d’acheter un ETF (Exchange Traded Fund) qui tracke le S&P 500, l’indice phare de la bourse de New York. Cet ETF vous sera facturé 0,003% annuellement. Mais si vous ajoutez un critère de sélection, pour, par exemple, exclure toutes les entreprises actives dans les industries du pétrole, du tabac et de l'armement, cette commission passe à 0,08%. Pour un ETF qui se concentre uniquement sur les entreprises américaines les plus vertueuses, les frais annuels atteignent 0,25%.
Une exclusion de toute entreprise active ou ayant des liens commerciaux avec Israël serait sans doute encore plus coûteuse.
Une fois de plus, ce papier n’a pas pour objet de se positionner vis-à-vis des revendications des étudiants. Mais d’un point de vue purement financier, leurs suggestions d’exclure tout investissement “ayant un lien avec Israël” des portefeuilles d’investissement de leurs universités semblent illusoires. Et comme environ un tiers des étudiants des plus prestigieuses universités américaines finiront par travailler en finance ou en conseil, il nous semblait bon de revenir sur quelques fondamentaux.
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