Le 4 juin dernier, l’Autorité Bancaire Européenne [1] a publié un article dénonçant les pratiques anti-concurrentielles de certaines banques européennes vis à vis des Fournisseurs de Services Financiers Tiers, c’est à dire essentiellement des Fintechs.
Selon l’EBA, ces pratiques constituent des “obstacles” à la mise en œuvre de ce qu’on appelle “l’Open Banking” — une réglementation européenne visant à créer, comme son nom l’indique, un système bancaire ouvert où les clients seraient libres d’aller piocher les services financiers là où ils le veulent. L’EBA est allé jusqu’à demander aux banques centrales d’intervenir pour que les banques lèvent les blocages “le plus rapidement possible”.
Mais alors, comment en est-on arrivé là ?
Une relation en demie teinte
Les rapports entre les FinTechs et les banques traditionnelles ont toujours été ambigus.
D’un côté, on trouve de nombreux exemples de collaborations réussies entre grandes institutions et startups. C’est le cas de Cashbee, avec notre partenaire My Money Bank qui rémunère les dépôts de nos clients. C’est aussi le cas d’Alan par exemple, qui assure ses clients avec l’aide de CNP Assurance. Certaines banques vont même jusqu’à héberger des startups, comme la Banque Postale avec son incubateur Platform 58, dont nous sommes locataires.
Mais malgré cela, la méfiance persiste. Car si individuellement la plupart des fintechs ne constituent pas une réelle menace pour les géants bancaires, elles s’attaquent collectivement à des segments de clientèle ou de marché qui peuvent leur faire perdre du terrain. Deux stratégies, souvent menées en parallèle, sont alors possibles pour les grandes banques.
La première consiste à avaler les petits, comme ce fût le cas pour l’agrégateur Budget Insight, aujourd’hui sous le contrôle d’Arkéa, de la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank, intégrée à la Banque Postale, de Compte Nickel, passé dans le giron de BNP Paribas ou encore de la néobanque Shine, récemment rachetée par la Société Générale.
La seconde est d’accélérer le développement de leurs propres projets digitaux, pour contrer l’offre des startups. Ma French Bank, la banque digitale de La Banque Postale a ainsi attiré plus de 125 000 clients en un an d’existence. Boursorama, filiale de la Société Générale, a lancé Kador, en réponse à l’offre de banque pour ados que des fintechs comme Pixpay ou Xaalys ont lancé récemment. La concurrence est rude et si les banques traditionnelles sont peut-être moins agiles, leurs moyens financiers et leurs images de marque plus installées leur donnent des atouts de poids.
...et puis il y a la troisième stratégie
Des banques européennes ont, pour certaines, fortuitement pris du retard dans leur mise en conformité avec la réglementation, là où d’autres ont introduits des mesures qui entravent la connectivité de services tiers à leurs systèmes. Résultat : il est soit impossible soit très difficile de connecter sa banque à certains outils, ce qui nous empêche parfois — nous autres Fintechs — de fonctionner correctement, et de proposer l'intégralité de nos innovations aux utilisateurs.
Nous estimons que certaines banques ne jouent clairement pas le jeu. Et nous sommes bien placés pour le savoir : ce sont toujours les mêmes qui posent des problèmes de connexion à Cashbee.
Ce sont ces “obstacles potentiels” que certains acteurs ont rapporté à l’EBA. Et puisque la mission même de cette institution est d’assurer l’application uniforme de la réglementation bancaire à travers l’Union Européenne, elle a donc naturellement haussé le ton.
En rappelant d’abord que la réglementation européenne a justement pour but de permettre l’utilisation des services digitaux tiers, dans un cadre réglementaire strict. Elle a aussi rappelé que les grandes banques ont l’obligation de mettre à disposition des ponts virtuels permettant aux fintechs d’accéder, de façon sécurisée et à la demande de leurs clients, aux comptes bancaires de ces derniers.
Les “obstacles” identifiés
La note fait état de zones d’ombres et des pratiques douteuses appliquées par certains acteurs, et confirme qu’il s’agit d’obstacles superflus, qui ne semblent répondre à aucun objectif, si ce n’est celui de gêner l’accès des utilisateurs à des services proposés par des tiers. C’est la partie un peu technique de cet article, donc n’hésitez pas à sauter le paragraphe qui suit. Pour ceux qui sont encore avec nous, voici quelques morceaux choisis.
- Incohérence des moyens d’authentification, qui sont parfois inutilement complexes et plus longs pour les Fournisseurs de Services Financiers Tiers, alors qu’ils sont simples et plus courts pour les clients se connectant à leur banque via le site de celle-ci
- Inégalité des services proposés selon que le client se connecte directement au site de la banque ou via une application tierce. Par exemple : la connexion est techniquement possible, mais l’utilisateur ne peut pas accéder à son solde.
- Multiplication inutile des mesures d’authentification forte : mot de passe, puis code par SMS, puis question personnelle, puis…
- Obligation pour le client de renseigner son IBAN manuellement pour accéder aux services tiers.
- Obligation pour le client de confirmer son désir d’utiliser les services tiers, alors qu’il a déjà exprimé en acceptant les CGU du Fournisseur de Services Financiers Tiers.
- Obligation pour le client de se reconnecter manuellement à chaque utilisation du Service Tiers, ou à une fréquence rébarbative.
- Procédures d’enregistrement inutilement longues. Par exemple : plus d’une semaine pour valider la connexion.
David avec Goliath ?
Vous me direz : tous ces problèmes ne sont pas forcément des erreurs intentionnelles de la part des banques. On pourrait même penser que certains d’entre eux sont justement dus à la période d’ajustement, nécessaire pour entrer en conformité avec l’Open Banking. Pour tout vous dire, c’est possible. Mais il convient de rappeler que la deadline imposée par l’union Européenne pour mettre à disposition ces fameux “ponts virtuels” était le… 15 septembre 2019. Et que la plupart des banques Anglaises ou Allemandes ont parfaitement eu le temps de le faire. On peut donc raisonnablement s’impatienter. La note de l’EBA en est la preuve.
Entre une bataille d’arrière garde destinée à freiner la transition vers l’Open Banking, pourtant actée par les pouvoirs publics et voulue par les consommateurs, et son adoption pleine et rapide, le choix ne devrait pas être difficile. Sans cette coopération, les systèmes financiers britanniques (Revolut, Monzo,..), nordiques (Klarna, Adyen,..) et allemands (Raisin, N26,..) prendront une avance considérable, potentiellement irrattrapable sur la finance digitale Française.
Si, en revanche, les fintechs et les grandes banques choisissent librement de collaborer dans certains domaines, tout en se faisant concurrence dans d’autres, l’innovation sera stimulée de façon saine. Avec un objectif commun : proposer les meilleurs services possibles aux clients !
EBA : Créée pour remédier aux carences de la supervision financière au niveau européen, ses objectifs principaux sont de maintenir la stabilité financière dans l'UE et de garantir l'intégrité, l'efficience et le bon fonctionnement du secteur bancaire. C'est l’autorité indépendante de l'UE qui garantit un niveau de réglementation efficace et cohérent pour l'ensemble du secteur bancaire européen.
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